Un rapport de l’Université de Genève questionne l’efficacité des sanctions contre les chômeuses et chômeurs

Le département de l’économie et de l’emploi (DEE) a mandaté l’Université de Genève pour analyser les décisions de sanctions et d’inaptitude au placement prononcées par l’Office cantonal de l’emploi (OCE) à l’encontre des demandeuses et des demandeurs d’emploi. L’analyse relève principalement que, si l’esprit des sanctions est bien d’inciter les demandeuses et demandeurs d’emploi à chercher activement du travail, leur caractère automatique et systématique, ainsi que l’application parfois sans nuance de ces sanctions, pourraient s’avérer contre-productifs. Elle présente, dans ses conclusions, des réflexions et des recommandations qui suggèrent des changements structurels, tant au niveau cantonal que fédéral. Le DEE examine leur faisabilité.

Ces dernières années, le Conseil d'Etat a été interpelé de manière récurrente sur le nombre de sanctions infligées, à Genève, aux demandeuses et demandeurs d'emploi1. Fabienne Fischer, conseillère d’Etat, consciente de l’impact financier parfois très lourd des sanctions pour les personnes assurées, rappelle que, depuis son arrivée à la tête du DEE, celui-ci "tente de limiter les sanctions prononcées, tant dans leur nombre que dans leur quotité, par la mise en place de mesures préventives".

Des données et des analyses solides étant indispensables, le DEE a mandaté l’Institut de recherches sociologiques (IRS) de l’Université de Genève pour analyser les décisions de sanctions et d’inaptitude au placement prononcées par l’OCE à l’encontre des demandeuses et des demandeurs d’emploi, entre 2019 et 2021.

Cadre de l’analyse

L’objectif était principalement de connaître le nombre et le profil des personnes sanctionnées ou déclarées "inaptes au placement", afin de mieux comprendre les difficultés que rencontrent ces personnes. L’analyse des décisions prononcées par l’OCE a été réalisée conjointement par le Dr Pierre Kempeneers et le Prof. Dr Jean-Michel Bonvin, de l’IRS, de la Faculté des Sciences de la Société de l’Université de Genève, et a été remise en avril 2023.

Il s’agit d’une étude à la fois quantitative et qualitative. Pour la partie quantitative, l’IRS s’est appuyée sur les données du Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO) de la Confédération, entre 2019 et 2021, dont environ 150'000 ont été exploitées. L’analyse qualitative repose sur des entretiens approfondis avec 16 demandeuses et demandeurs d’emploi, sanctionnés et/ou déclarés "inaptes au placement" pour divers motifs, et sélectionnés selon des méthodes éprouvées2. Elle renforce et illustre l’analyse quantitative.

Selon les données analysées, le profil type identifié est trop large pour permettre d’adopter des mesures ciblées prenant en compte des difficultés particulières. Dans leurs conclusions, les auteurs de l’étude proposent en conséquence de travailler sur les procédures, en les rendant moins rigides, et sur une culture de la confiance qui soit propice à la recherche d’un emploi.

Déclenchement automatique du processus de sanction

La loi fédérale sur l’assurance-chômage (LACI) exige le déclenchement automatique du processus de sanction lorsqu’un manquement, même minime, est constaté. Or, après instruction, l'OCE renonce à sanctionner dans 30% des cas. Ces procédures provoquent un sentiment de défiance envers l’administration. Les personnes concernées y voient la démonstration qu'on ne prend pas en compte leur situation personnelle et concrète, et qu'elles doivent déployer beaucoup de temps et d’énergie simplement pour faire valoir leurs droits d’assurées. Elles comprennent généralement mal les sanctions reçues et les ressentent comme "déstabilisantes", "vexatoires", et fondées sur de simples suspicions. Sur ce point, l’analyse relève la charge et la perte d’efficacité administrative et suggère que le principe de la "présomption d’innocence" doit pouvoir s’appliquer systématiquement.

Les auteurs de l’analyse indiquent en outre que les sanctions prononcées puis annulées peuvent s'avérer contreproductives en matière de réinsertion, car elles mettent à mal le lien de confiance entre l’ayant droit et l’OCE. Ce lien de confiance pourrait également être fragilisé par le fait que, selon l'appréciation de la majorité des personnes interviewées, le conseiller en personnel doit passer trois quarts de l’entretien à vérifier le respect des procédures, ne laissant qu’un quart du temps disponible pour l’orientation et le conseil.

Toutefois, selon les interviews, les demandeuses et demandeurs d’emploi "gardent la plupart du temps confiance en leur conseillère ou conseiller en personnel", et reconnaissent "une certaine compréhension, voire empathie, par rapport à la situation vécue par la ou le demandeur d’emploi". Il serait donc important de renforcer la conseillère ou le conseiller en personnel dans ce rôle.

Un quart des sanctions pendant le délai de congé

Autre fait marquant: plus d’un quart des sanctions (27%) prononcées à Genève ont pour motif l’insuffisance de recherche d’emploi pendant le délai de congé. Les directives fédérales obligent en effet les futurs bénéficiaires à effectuer au moins 10 recherches d’emploi par mois durant cette période. Pour Fabienne Fischer, "la plupart des personnes ne savent pas, avant de s’inscrire au chômage, qu’elles ont l’obligation d’effectuer des recherches d’emploi durant leur délai de congé et encore moins le nombre de recherches exigé". L’information à cet égard doit être améliorée. Des premières démarches en ce sens ont déjà été menées avec les partenaires sociaux, qui devraient être développées.

Des pistes pour une politique de l’emploi

Pour Fabienne Fischer, "cette analyse permet de clarifier les leviers dont nous disposons en matière de sanctions pour prévenir la précarisation financière des chômeuses et chômeurs, ainsi que pour utiliser au mieux l’effet mobilisateur des sanctions". Dans leurs conclusions, les auteurs de l’analyse proposent des pistes concrètes d’amélioration des procédures et de la culture administrative. Certaines nécessitent des aménagements législatifs, d’autres non3. 

Comme le rappelle l’analyse, "l’OCE ne saurait se soustraire à ses obligations de contrôle telles que définies par les dispositions légales fédérales [LACI]. Ce nonobstant, la mission prioritaire et principale de l’OCE est l’accompagnement et le soutien aux demandeuses et demandeurs d’emploi, dans le but de favoriser leur réinsertion rapide, et surtout durable, sur le marché de l’emploi".

Les pistes de réflexion et les recommandations de cette analyse académique vont maintenant être examinées, d’une part avec l’OCE, pour ce qui est de l’application du droit fédéral dans le cadre de la politique cantonale de l’emploi, d’autre part avec le SECO, en ce qui concerne des évolutions souhaitables du droit fédéral pour rendre le dispositif à la fois plus efficace et plus efficient, mais également plus juste.

Notes:

1 Motion M2744 adoptée par le Grand Conseil le 26 mars 2021

2  cf. section 2. Méthodologie, p.10/94

3 cf. section 6. Pistes pour une réforme du dispositif des sanctions, p. 37 ss

Annexe:

  • KEMPENEERS Pierre, BONVIN Jean Michel, "Analyse quantitative et qualitative des décisions de sanctions et d’inaptitude au placement prononcées par l’OCE en 2019, 2020 et 2021. Mandat du Département de l’Economie et de l’emploi", Institut de recherches sociologiques (IRS), Faculté ds Sciences de la Société, Université de Genève, avril 2023: lien direct vers le document (PDF).

 

Pour toute information complémentaire: Mme Esther Mamarbachi, porte-parole, DEE, esther.mamarbachi@etat.ge.chT. 078 628 80 08.