Comme le souligne la politique numérique du canton de Genève adoptée en 2018, il est important pour les acteurs concernés de prendre la mesure des défis liés à la confiance à l’ère numérique. Cette confiance dans les technologies et dans les entreprises qui les développent est aujourd’hui mise à rude épreuve. C’est notamment le cas avec la pandémie qui a accéléré les usages du numérique, mais a dans le même temps rendu tangibles de nombreux problèmes dont plusieurs en lien avec la confiance.
La Rencontre 2022 du Genève Lab, organisée en partenariat avec la Fédération des entreprises romandes Genève, s’est penchée sur cette notion de confiance, pour tenter d’en comprendre les spécificités liées au numérique et pour envisager comment les technologies telles que l’intelligence artificielle, la blockchain ou les objets connectés peuvent l’influencer.
Olivier Sandoz, directeur général adjoint de la FER-Genève et Serge Dal Busco, président du Conseil d'Etat nous ont fait l'honneur d'introduire cet événement.
Olivier Sandoz a rappelé l'accélération des évolutions que vit notre société actuellement: au plan géopolitique, sanitaire et numérique. Mais pour lui la crise climatique est l'enjeu le plus important auquel nous devons faire face. La mission de la FER est notamment de réfléchir à l'évolution de la société en général et du monde de l'entreprise en particulier. Dans ce contexte, prendre le temps de se pencher sur la notion de confiance dans le monde numérique lui paraît primordial.
Le mot de bienvenue de Olivier Sandoz
Serge Dal Busco note l'importance de la confiance pour un secteur public en interaction croissante avec la population à travers des services numériques. Il mentionne en particulier le dossier électronique du patient, les e-démarches et le vote électronique. Dans ces trois domaines la confiance et la sécurité constituent des éléments essentiels à prendre en compte. La Rencontre 2022 du Genève Lab est donc bienvenue pour nous éclairer sur ce sujet. Elle constitue une contribution de l'Etat à des réflexions qui intéressent les entreprises du canton.
Le mot d'introduction de Serge Dal Busco
Nous avons également pu compter sur la présence de Johan Rochel (ethix), Vincent Pignon (Wecan Group), Philippe Page (Fondation Human Colossus) et Jean-Henry Morin (Université de Genève) pour apporter un regard pluriel sur un thème qui nous concerne toutes et tous.
Johan Rochel
Co-directeur de ethix - Laboratoire d'éthique de l'innovation, Zürich
« La signification de la confiance dans le monde numérique »
La confiance prend-elle une signification particulière dans le monde numérique ? Comment construire, voire reconstruire la confiance dans ce nouveau paradigme ? En questionnant les fondamentaux de la relation de confiance Johan Rochel nous a ouvert quelques perspectives sur ces questions.
Avec verve et humour il nous a proposé une analyse conceptuelle de la confiance qui avait pour ambition de nous aider à nous questionner plutôt que de nous apporter des réponses toutes faites.
Il nous a tout d’abord présenté sa définition de la confiance. Pour lui c’est :
- Une relation interpersonnelle, entre au moins deux personnes.
- Elle est orientée vers l'avenir. Elle implique une prédiction sur le comportement de l’autre personne. Cette incertitude explique pourquoi la confiance s’accompagne de vulnérabilité.
- La relation de confiance dépend des traits des personnes impliquées et du contexte de leurs interactions
Partant de cette définition, Johan Rochel nous en a expliqué les conséquences, au niveau de la capacité d’autonomie de la personne qui reçoit la confiance notamment.
« Avant d’ouvrir la porte de la confiance, il faut ouvrir celle de l’autonomie »
Pour lui, il faut éviter le piège d’une définition strictement technique de la confiance : lorsqu’on évoque la confiance et le numérique, on a en effet trop souvent tendance à se focaliser sur les caractéristiques d’un système technique.
Il vaut mieux envisager une définition étendue de la confiance qui met l’accent sur les aspects humains et nous amène à nous poser les questions suivantes :
- A qui donne-t-on vraiment sa confiance quand on utilise un système technique ?
- Quel pouvoir sur mon environnement économique/social/politique ?
- Qui profite de l’incertitude/vulnérabilité liée à la relation de confiance ?
Le questionnement proposé par Johan Rochel aura servi de grille de lecture aux présentations des autres orateurs de l’après-midi.
La confiance dans le numérique - Johan Rochel
Vincent Pignon
Fondateur et CEO de Wecan Group, Genève
« La blockchain, un nouveau fondement pour la confiance numérique »
Dans un contexte où la numérisation s’accélère, tout autant que les risques associés, la confiance numérique est devenue un enjeu majeur pour les administrations, les citoyens et les entreprises. Derrière le hype, Vincent Pignon, spécialiste du domaine, nous a montré en quoi la blockchain peut être la fondation d’une nouvelle confiance numérique.
Pour lui la blockchain constitue un changement de paradigme majeur qui est celui de la décentralisation des échanges de valeur. La constitution d’un registre non corruptible alliée à l’ouverture de ce dernier amène deux éléments qui sont selon Vincent Pignon au cœur de la confiance.
La blockchain serait ainsi une technologie qui, par design, génère plus de confiance que d’autres. Partant de cette proposition de valeur, il a rappelé de manière très claire le fonctionnement de la blockchain, en présentant les opportunités qui y sont liées, sans pour autant en cacher les risques. Le premier d’entre eux étant le rôle d’intermédiaire que jouent certaines plateformes et qui ramènent une forme de centralisation des échanges, source d’une potentielle perte de confiance.
La blockchain, un nouveau fondement pour la confiance numérique - Vincent Pignon
Philippe Page
Président du conseil de la Fondation Human Colossus, Genève
« Un retour à la confiance numérique à travers l’authenticité »
Le refus de la loi sur l’e-ID, la méfiance envers les applications de traçage et certificats sanitaires ne sont que quelques exemples de la méfiance croissante envers les technologies de l’information. Basé sur le besoin de retrouver une souveraineté de nos données, Philippe Page a amené un regard constructif sur la question. Partant de quelques projets concrets, il a proposé une vision alternative des interactions sur Internet en lien avec certains aspects avancés des technologies de l’information dite « décentralisées ».
Philippe Page a abordé la confiance à travers le prisme des très (trop ?) nombreuses données numériques qui permettent notamment d’améliorer nos prises de décision. Et lorsqu’on envisage la confiance sous cet angle, on constate la nécessité de disposer de données fiables et de considérer la gestion de l’information de manière large.
Pour lui, les règles liées à l’Internet ne sont plus en phase avec notre vision de la confiance aujourd’hui car deux éléments clefs interfèrent :
- L’authentification : « à qui a-t-on à faire ? »
- La sémantique : « de quoi parle-t-on ? »
Ces deux éléments de l’architecture d’Internet ne sont en effet pas distribués. Et la dépendance envers des tiers n’est pas un gage de confiance, comme l’on également relevé les deux intervenants précédents.
Alors comment retrouver la confiance ? Philippe Page suggère de nous inspirer de notre histoire et de partir du besoin essentiel de sécurité ; mais en prenant un autre point de vue, celui relatif à la sécurisation des données. En faisant l’analogie entre nos espaces physiques et nos espaces numériques, il propose de restaurer la confiance en changeant d’état d’esprit et en partant de l’humain.
En mettant l’humain au centre, on pose le meilleur contexte possible. Il faut ensuite s’attacher à mettre en place une sémantique et une authentification décentralisées. Enfin l’établissement d’une gouvernance distribuée est la dernière pièce de l’édifice. Elle permet de se rapprocher du modèle de notre société actuelle, à la fois globale et locale.
Un retour à la confiance numérique à travers l’authenticité - Philippe Page
Jean-Henry Morin
Professeur associé en systèmes d’information, Institut de Sciences des Services, Université de Genève
« La confiance éclairée : un fondement pour une société numérique responsable »
Partant du constat dystopique de la confiance rompue et de la prévalence du numérique, Jean-Henry Morin a évoqué les nouveaux paradigmes sur lesquels nous pouvons reconstruire une confiance indispensable à l’avènement d’une société numériquement responsable. Selon lui, un ensemble de propriétés, de principes et de techniques doivent se rencontrer pour un assemblage socio-technique désirable et durable.
Comme les intervenants précédents, Jean-Henry Morin est convaincu que la transparence et les systèmes distribués sont les fondements de la confiance numérique. Et tout comme Philippe Page, il insiste sur la nécessité de replacer l‘humain au cœur du dispositif, notamment lorsque l’on évoque la sécurité. Et dans ce cas le facteur humain n’est pas le problème ; c’est au contraire une partie de la solution
Alors comment faire pour ré-humaniser la confiance ? Il s’agit pour Jean-Henry Morin d’aller vers une confiance éclairée qui s’appuie sur une transparence issue des regards croisés et partagés du collectif. Cela constitue un changement de paradigme majeur.
Partant de ce principe, il nous rappelle les 3 leviers de la responsabilité numérique qui constituent pour lui les 3 dimensions nécessaires pour restaurer la confiance :
- Mettre en œuvre la transparence par conception
- S’appuyer sur des approches distribuées
- Prendre en compte par conception l’humain et son libre arbitre (et donc travailler sur la capacitation des gens afin de les responsabiliser)
Jean-Henry Morin va même plus loin et propose, dans une perspective large, de mettre à plat l’ensemble des modèles économiques et de créer une économie de l’usage des données. Celle-ci doit privilégier une approche de la frugalité des données : moins on a de données, moins on a de soucis (en terme de confiance notamment).
Le podcast de Jean-Henry Morin
La confiance éclairée : un fondement pour une société numérique responsable - Jean-Henry Morin
Table ronde
Cette Rencontre 2022 se termine avec une table ronde réunissant les 4 intervenants et animée par Alexander Barclay, délégué cantonal au numérique. Deux questions débattues à cette occasion ont particulièrement retenu notre attention.
« Comment pouvons-nous nous créer de réelles possibilités de choix dans le contexte actuel ? »
C’est vrai que nous pouvons nous sentir enchaînés et sans grande possibilité de faire bouger les choses. Mais dans les faits, on constate que l’on bénéficie des initiatives européennes dans ce domaine. Celles-ci participent à élargir nos possibilités de choix. Il y a des actions politiques à mener dans ce contexte.
Sur un autre plan, il y a un travail à faire sur la littératie numérique. Et ce n’est de loin pas de compétences techniques que l’on parle lorsque l’on évoque cette littératie numérique. Il s’agit également de manières de faire en lien avec le monde de l’Internet aujourd’hui : orientation usagers, intelligence collective, pluridisciplinarité, prototypage et itération notamment. C’est un vrai projet de société que d’équiper les jeunes pour évoluer dans cet univers. Il faut y consacrer des ressources.
Dans le même registre, on constate qu’il n’y a pas en Suisse de capacité suffisante à produire les talents adéquats pour le monde de l’entreprise. On doit recruter à l’étranger alors qu’on a tout pour bien faire chez nous. C’est un problème pour notre économie.
« Êtes-vous confiants dans la possibilité d’apporter des solutions viables aux problèmes évoqués aujourd’hui ? »
Tous les intervenants sont plutôt optimistes, évoquant tour à tour le fait que la vision est là et que le train est en marche ; que ce sont des réponses à apporter sur des temps longs ; qu’une nouvelle catégorie d’acteurs émerge : plus responsables et s’appuyant sur d’autres valeurs qui vont leur permettre de s’imposer naturellement.
Il faut que certaines innovations sociales apparaissent et se mettent en place, avec de nouveaux modèles à inventer pour une prise de conscience qu’il faut absolument changer, et que la Suisse doit participer activement à ce changement.