« Viens chez moi, j’habite dans mon école ! »

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Date de publication
9 novembre 2022
Le CFPNE de Lullier est l’un des très rares établissements à proposer à ses étudiantes et étudiants un statut d’interne. Un casse-tête pour la direction ? Un calvaire pour les jeunes ? Interrogation orale croisée à l'heure du petit-déjeuner. Café croissant.

illustrationNous nous sommes donné rendez-vous dans la jungle épaisse, alors que le soleil dort encore et que les grands animaux sauvages se réveillent tout juste pour chercher un point d’eau. Voici qu’une pâle clarté naissante transforme la forêt impénétrable en un magnifique parc arboré et qu’une source se dessine quelque part… au fond du réfectoire du Centre de Formation Professionnelle Nature et Environnement (CFPNE). Nous ne sommes pas en Tanzanie mais à Lullier, c'est-à-dire presque au bout du monde quand-même.

A la table du petit-déjeuner, les "fauves" s’appellent Amélie, Kyra, Samuel, Chloé, Alexandre et Félix. Ils sont étudiantes et étudiants en culture maraîchère, arboriculture fruitière, paysagisme, pépinière ou floriculture. Certains d’entre eux sont encore mineurs, les autres cheminent déjà dans l’âge adulte. Toutes et tous ici ont choisi la terre. Mais attention: pas celle héritée de leurs parents, mais plutôt celle qu’elles et ils rêvent de laisser à leurs enfants. Qu’on ne s’y trompe pas : on peut faire le choix d’une filière agricole sans épouser les thèses conservatrices que l’on prête un peu trop caricaturalement aux gens actifs dans le secteur primaire de l'économie. Par-delà les enseignements très classiques qui leur sont dispensés là, dans la grande tradition de cette institution plus que centenaire qu’est Lullier, cette joyeuse équipe se retrouve ainsi le soir, à la bibliothèque, pour réfléchir à d’autres modèles, pour rêver agroforesterie, permaculture, micro-ferme, bio et circuits courts, voire pour se projeter dans quelque destination lointaine ou expérience exotique. 

Fortes têtes… bien remplies !

« On vous a mis les fortes têtes, ici », ironise, bravache, un de nos interlocuteurs en faisant émerger des yeux rieurs de sa tasse de café. De fait, la discussion est partie vite et fort, qui nous échappe un peu ! On n’avait pas prévu, ce matin, de régler définitivement son sort à l’agriculture de papa, aux intrants, aux pesticides… Nous avions souhaité rencontrer ces jeunes filles et jeunes hommes à cause d'un autre de leur point commun : ils font partie des quelque 80 étudiants appelés à suivre leur cursus de formation en qualité d’internes.

Quiconque est arrivé nuitamment sur ce site, par des routes peu éclairées et avec cette impression que l'horizon s'éloigne à mesure que l'on avance, a envie de croire que ce statut d’interne constitue un sacrifice à consentir pour pouvoir étudier dans cet écrin, au milieu de ces parcs luxuriants. « Nous avons choisi d’être internes et nous apprécions beaucoup ce régime », nous contredit un autre regard clair et vif. « Nous pouvons travailler sur place, nous partageons des activités, nous avons le loisir de mieux nous connaître ». Ici, point de discipline martiale : tout au plus les étudiantes et étudiants mineurs doivent-ils être sur site à 19h00 et au plus tard à 22h00 sur dérogation. Les autres doivent être rentrés avant que les carrosses ne se transforment en citrouilles, sauf autorisation expresse de leurs parents de "découcher". Mais aux longs trajets en bus ou autres escapades en deux-roues, notre jeunesse de l'internat, apparemment très sérieuse, affirme préférer les animations qui s’organisent parfois sur place, le jeudi soir.

Ecoute et accompagnement

Inernat du CFPNE de Lullier

Directeur du CFPNE, Jean Lebedeff se réjouit de savoir que ses étudiantes et étudiants vivent bien leur statut d’internes. Hormis quelques foyers, rares sont les établissements d’enseignement à gérer cette dimension d’hôtellerie. La capacité de l’internat est d’une centaine de places pour quelque 360 élèves investis dans un cursus à Lullier. Les enfants mineurs genevois sont prioritaires. Suivent ceux des autres cantons. Ces « moins de 18 » représentent un tiers des effectifs. Viennent ensuite tous les autres candidats.

 
Cette particularité place l’établissement sous l’autorité du service de contrôle des lieux de placement. Elle appelle la mise en œuvre de surveillance et d’éducation. Exit le maître d’internat d’hier et ses rondes de maton : on insiste désormais sur l’accompagnement et sur l’écoute. Sans doute une explication de la satisfaction exprimée par nos voisines et voisins de petit-déjeuner.

Evolutions

Pour répondre aux aspirations programmatiques exprimées par les gentils fauves avec lesquels nous avons partagé un café matutinal, Jean Lebedeff ne regarde pas seulement devant lui. Il se retourne également sur son passé, lui qui a commencé ses études dans cette même école au début des années 80, et mesure le chemin parcouru en matière de pratiques agricoles et professionnelles. Certes, les ordonnances fédérales encadrant ces cursus de formation ne permettent pas de remettre en cause tout le programme ! Pourtant, à l’en croire, Lullier est loin de rater le virage de l’agriculture moderne : « Au printemps, nous avons planté un hectare de pommiers résistant à la tavelure. Nous avons l’objectif de développer le bio et construisons à cet effet des partenariats avec la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève (HEPIA) », explique-t-il. « Nous avons l’objectif de limiter les traitements et de recarboner les sols. C’est l’un de nos défis pour le futur. Nous sommes dans une phase de transition ». 

Le soleil est plus haut dans le ciel de Lullier. Déjà Amélie, Kyra, Samuel, Chloé, Alexandre et Félix sont dans les serres. Ce soir, la meute dormira bien. 

Comment l'élève Lebedeff est passé maître

illustrationPur produit de Lullier, dont il est aujourd'hui le directeur, Jean Lebedeff a également été responsable de la cave de l'école d'ingénieurs de Changins, d'où il était sorti ingénieur-œnologue en 1989, avant de se diriger vers l'enseignement.

Jean Lebedeff est le directeur du centre de formation professionnelle nature et environnement (CFPNE). Il est aussi un ancien élève de l'école, volée 80-83. Lorsqu'il y a fait ses classes, l'institution s'apprêtait à fêter ses cent ans. Créée en 1887 par Edmond Vaucher, l'ancienne "Ecole d'horticulture de Châtelaine" a connu plusieurs mutations successives. Longtemps rattachée au département de l'agriculture, elle a formé des générations d'étudiantes et étudiants toutes et tous formés durant leur cursus en trois, puis quatre ans en 1990, aux différents domaines de la floriculture, du paysagisme, de la pépinière, de la culture maraîchère et de l'arboriculture fruitière. 

L'institution rejoint le département de l'instruction publique au lendemain des élections au Conseil d'Etat de décembre 1997. En 2008, l'école doit s'inscrire dans le changement et sacrifier aux nouvelles exigences de la formation telles que régies par le Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI). Elle propose désormais deux CFC de base en floriculture ou en pépinière en trois ans ainsi qu'un autre CFC de paysagisme en une année supplémentaire. Voici pour les titres fédéraux. Le CFPNE délivre également un diplôme cantonal conditionné par la réussite dans les CFC décris ainsi que les examens internes en culture maraîchère et en arboriculture fruitière. Diplôme dont la valeur est reconnue bien au-delà des frontières cantonales.

On sort ainsi toujours de cette institution avec les mêmes compétences, remises au goût du jour. Il est par ailleurs devenu possible d'y faire des attestations fédérales de formation professionnelle (AFP) en deux ans, des AFP duales, des CFC duals ou encore, depuis 2020, en suivant les cours de l'école pour fleuristes du CFPNE, une maturité professionnelle dans le domaine des arts en partenariat avec le centre de formation professionnelle (CFP) Arts permettant l'accès à la haute école d'art et de design (HEAD) de Genève.

Après avoir travaillé dans une pépinière d'arbres fruitiers en Suisse alémanique, le jeune Lebedeff décide de passer deux années dans les vignes valaisannes dans le but d'acquérir la culture de base qui lui permettra de passer avec succès l'examen d'entrée de l'école de Changins, qu'il intègre en 1986. Il en ressort en 1989 avec un titre d'ingénieur-œnologue. Suivront quatre années dans la société Vin Union, ancêtre de la Cave de Genève SA.

En 1993, Jean Lebedeff est recruté sur un poste à 50% comme responsable de cave de l'école de Changins. En parallèle, il fait une licence en sciences de l'éducation à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation (FPSE). Commence alors une nouvelle carrière d'enseignant remplaçant, puis de titulaire. De 2008 à 2018, il est directeur d'établissement primaire à Genève (La Roseraie et aux Avanchets). La boucle se boucle lorsqu'il est nommé à la tête du CFPNE en 2018. Il y découvre une nouvelle population d'élèves, des formations devenues plus exigeantes et de nouveaux défis.

 


 bandeau d'illustration Les échos du DIP

Lettre interne d'informations départementales -
article de l'édition du 14 novembre 2022

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Date de publication
9 novembre 2022