C'est l'histoire d'une belle rencontre entre un maître et son élève. Celle-ci n'a toutefois pas eu lieu au sein de l'école villageoise, mais dans la nature buissonnière qui l'entourait. A l'âge des culottes courtes, le petit Ron Lahyani se voit offrir par son entomologiste de voisin un filet à papillon et le nécessaire du parfait petit taxidermiste. Dans les vapeurs d'éther, le bambin épingle les uns à côté des autres ses premiers lépidoptères, transformant les murs de sa chambre en encyclopédie. De cette expérience, notre "padawan" va conserver deux passions. Celle des papillons, bien sûr. Mais également bientôt celle de la didactique. Elles cohabitent aujourd'hui.
Atropos
Si l'adolescence lui vaut de papillonner quelques temps dans d'autres bocages, l'âge adulte a fait ressurgir, intacte, sa passion pour ces insectes. "C'était lors d'un voyage en Amazonie. J'ai croisé ces énormes papillons aux couleurs folles, et je me suis rappelé que je n'avais jamais cessé d'aimer intensément ces insectes", explique Ron Lahyani. Retour en Suisse, il ressuscite les outils que lui avait laissés son maître et remet l'ouvrage sur le métier. Dans la foulée, il crée sa microentreprise. Elle s'appellera Atropos, du nom d'un élégant papillon de nuit également connu comme le "Sphynx tête de mort". Atropos, excusez du peu, c'est aussi l'une des Moires de la mythologie grecque qui coupe le fil de la vie tissé et déroulé par ses deux sœurs Clotho et Lachésis. Car pour être resté passionné par les papillons depuis sa prime jeunesse, Ron Lahyani n'en a pas moins fait des études universitaires en lettres, français et histoire, avant de faire l'IUFE en français.
Prof à Jean-Piaget
Professeur depuis 2014 à Jean-Piaget, où il est nommé en 2016, il y est promu à la fonction de maître adjoint en 2021. Pour pouvoir vivre simultanément ses deux passions de l'enseignement et des papillons, il a ramené son temps de travail à 80%. Il alterne ainsi entre l'effervescence de sa salle de classe, la supervision des nouveaux enseignants et le calme monacal de son atelier, sis dans la cave fraîche d'un immeuble de Champel. Ici, des papillons de toutes les tailles se déclinent dans un camaïeu de couleurs. Le temps a suspendu leur vol. Il les a figés dans une éternité. L'artiste ne nie pas la mort de ces insectes. Il entend toutefois la sublimer par cette esthétique censée la transcender. Une fois traités, ces papillons ne vieilliront plus : certains spécimens sont conservés dans des musées depuis plus de cent ans.
Papillons d'élevage
Voici longtemps que le spécialiste des papillons ne capture plus ses proies dans ses filets. Il les commande à des éleveurs qui les cueillent au sortir de leur chrysalide, les endorment pour toujours et les font sécher avant que la première rosée et le premier soleil ne douchent leurs ailes. Ron les reçoit par courrier, pliés comme un billet de banque dans un portefeuille. Il réhydrate leurs frêles thorax et abdomens, déploie leurs ailes ternes et révèle leur face multicolore, les refait sécher dans la forme qu'exige leur futur écrin. Les ailes bien à plat pour ceux qui exposeront leurs couleurs dans des boîtes d'entomologistes. En position de vol, pour ceux qui s'intégreront à une nuée abritée dans un dôme.
Les insectes proviennent essentiellement d'élevage d'Amazonie ou du sud-est asiatique. Ils atterrissent sur les bureaux, les étagères ou sur les murs des clients d'Atropos. Il s'agit pour l'essentiel de particuliers, en quête d'une décoration originale. Parfois des professionnels, hôteliers ou gestionnaires de lieux d'accueil. De revendeurs, aussi, qui satisfont une demande croissante. Un autre marché se dessine : celui des collectionneurs capables de faire la différence entre un même papillon selon qu'il provient d'une île ou du littoral, d'un continent ou d'un autre.
Lettre interne d'informations départementales -
article de l'édition du 10 octobre 2022