Auteur-e-s: rédaction collective du Groupe de confiance
Cet arrêt récent du Tribunal fédéral (4A_310/2019 du 10 juin 2020) concerne une situation survenue dans le cadre d’une entreprise privée fribourgeoise.
Un directeur avait eu un comportement totalement inadéquat et répréhensible généralisé vis-à-vis de l’ensemble des employés dont il avait la charge, et plus particulièrement à l’encontre d’une collaboratrice, laquelle assumait la fonction de cadre intermédiaire directement subordonnée au directeur et était ainsi son interlocutrice privilégiée. Il pouvait se montrer cassant et virulent, marquer sa supériorité, rabaisser ses subordonnés, tout en ayant un management déficient et dysfonctionnel (manque de résistance au stress et incapacité à gérer les imprévus), étant ainsi largement responsable de la mauvaise ambiance générale au sein de l’entreprise.
Les juges cantonaux avaient conclu à un conflit relationnel entre ces deux collègues de travail aux personnalités incompatibles. En revanche, ils avaient considéré que les éléments constitutifs du mobbing n’étaient pas réalisés car il n’apparaissait pas que l’employée eût fait l’objet de dénigrements systématiques ou même répétés et dévalorisants sur une période assez longue. Les comportements incriminés ne revêtaient pas une gravité objective suffisante pour être qualifiés d’atteinte.
Cette analyse est confirmée par le Tribunal fédéral, lequel souligne aussi qu’il faut prendre en compte les exigences inhérentes au poste occupé par l’employée. Dans un poste à responsabilité telle qu’elle l’occupait, l’employée devait être apte à résister au stress et à la critique davantage qu’un employé subalterne (consid. 4.3.7).
4.3.7. (…)
Le comportement du directeur était critiquable, et même détestable. Cela étant, il s'est inscrit sur une durée limitée, dans le contexte d'une période de transition qui était objectivement difficile. A la première séance de conciliation du 5 mars 2015, la recourante était encore désireuse d'aller de l'avant et de collaborer avec le directeur. Il existait aussi un conflit de personnalités incompatibles entre le directeur et la recourante, laquelle avait subi une déconvenue en devant affronter de nouvelles méthodes de travail et une hiérarchie qu'elle n'avait pas connues jusque-là. L'autorité précédente a en outre souligné que la recourante - de nature très émotionnelle, et encline à s'identifier au projet - occupait un poste à responsabilité, bien rémunéré, de sorte que l'on pouvait attendre d'elle une résistance au stress et à la critique plus élevée que la moyenne.
La recourante, sous la plume de son conseil, s'offusque de cette dernière remarque dont elle déduit que le respect de la personnalité d'un travailleur dépendrait de son (bas) salaire. Un tel raccourci est outrancier. Confronté à une demande de réparation morale, le juge doit porter une appréciation d'ensemble intégrant des critères objectifs et subjectifs. Il doit notamment prendre en compte le ressenti subjectif de la victime et le pondérer en se demandant quelle réaction qu'aurait eue une personne lambda placée dans les circonstances d'espèce (cf. ATF 120 II 97 consid. 2b). Font notamment partie de celles-ci les exigences inhérentes au poste occupé par l'employé (cf. WYLER/HEINZER, op. cit., p. 449). Aussi l'autorité précédente n'a-t-elle pas enfreint le droit fédéral en considérant qu'un (e) cadre dans un poste à responsabilité tel que celui occupé par la recourante devait être apte à résister au stress et à la critique davantage qu'un employé subalterne. L'allusion à la haute rémunération de la recourante était clairement liée aux responsabilités que son poste entraînait et aux attentes que l'on pouvait avoir de son titulaire. Que le directeur n'ait lui-même pas eu les qualités requises pour son niveau de fonction n'y change rien; il a du reste été sanctionné.
Il sied de relever la sévérité des conclusions du Tribunal fédéral s’agissant du niveau d’exigence qu’il considère correspondre aux attentes envers les cadres à responsabilités, à savoir une haute résistance au stress, l’acceptation de la critique, et cela dans une mesure plus élevée que celle d’un employé subalterne.
D’autre part, le Tribunal fédéral confirme l’argumentation de la Cour cantonale selon laquelle l’employeur n’avait pas enfreint son devoir de protéger la personnalité de son employée, puisqu’il avait agi rapidement, mettant en place deux entretiens, mandatant une enquête par un médiateur externe, et enfin en prononçant le licenciement du directeur (consid. 4.4).
4.4. Dans le second volet de son analyse, la Cour d'appel a exclu que l'employeuse elle-même ait enfreint l'art. 328 CO en négligeant son devoir général de protection envers l'employée. Le conseil d'administration avait eu connaissance des griefs de l'employée à la fin du mois de février 2015. Le président du conseil d'administration avait spontanément mis en oeuvre une première séance de gestion du conflit le 5 mars 2015, puis une seconde le 22 avril 2015. La situation n'ayant pas évolué positivement, il avait été donné suite à la demande de l'employée et un médiateur externe avait été nommé, lequel avait débuté sa mission le 4 mai 2015 pour rendre son rapport le 23 mai 2015. Ledit conseil avait licencié D.________ le 26 mai 2015, en le libérant immédiatement de son obligation de travailler. Moins de trois mois s'étaient écoulés entre la prise de connaissance du conflit et le licenciement. Ce faisant, l'employeuse avait agi avec célérité.
Le constat selon lequel le conseil d'administration a été prévenu à la fin février 2005 lie la cour de céans, tout comme les autres faits retenus, à défaut de critiques satisfaisant aux exigences topiques (consid. 2.2 supra). Force est d'admettre que les mesures prises dès cet instant suffisaient à exclure tout grief de violation de l'art. 328 al. 1 CO.
Le Tribunal fédéral rappelle que le seul fait qu’un comportement ne réponde pas en tous points à la définition du mobbing n’exclut pas nécessairement qu’il puisse être qualifié d’atteinte illicite à la personnalité. Cela peut notamment être le cas d’un comportement critiquable « non discriminatoire », à savoir qui accablerait plusieurs membres du personnel (consid. 4.3.7).
L’employeur en effet doit veiller à la protection de la personnalité des employés, non seulement contre les atteintes aigües, tel le harcèlement psychologique ou mobbing, mais également contre d’autres atteintes « moins graves », comme par exemple un propos public insultant.
Nous relevons enfin que le Tribunal fédéral souligne l’importance que l’employeuse agisse lorsqu’elle a connaissance d’une situation conflictuelle qui pourrait constituer une atteinte à la personnalité, mais aussi qu’elle agisse sans attendre afin de respecter son devoir général de protection de la personnalité des employés. Dans cette situation, trois mois seulement s’étaient écoulés entre la connaissance de la situation conflictuelle et le licenciement, période durant laquelle deux séances de gestion du conflit avaient été organisées, un médiateur externe nommé, et le directeur licencié, une célérité relevée par le Tribunal fédéral. Si une telle promptitude ne saurait être attendue en toutes circonstances, il y a lieu de retenir qu’il est attendu de l’employeur qu’il mette en place des mesures dès lors qu’il est informé d’une situation pouvant constituer une atteinte à la personnalité d’un membre de son personnel.
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