Appréhender les conflits de manière constructive

Date de publication
15 octobre 2024
Appréhender les conflits de manière constructive
Appréhender les conflits de manière constructive
Comment s'affirmer, tout en favorisant une écoute réciproque, en vue d'appréhender les conflits de manière constructive? Il sera ici question de l'importance de prendre sa part de responsabilité dans le conflit et de comment formuler ses attentes de manière constructive.

Auteur-e-s: rédaction collective du Groupe de confiance

Cet article a fait l'objet d'une lettre d'information en juin 2015.

 

"Les différences ne sont pas censées séparer, aliéner. Nous sommes justement différents afin de comprendre que nous avons besoin les uns des autres", Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix en 1984

Une des activités principales du Groupe de confiance consiste à accueillir en entretien des collaborateurs et collaboratrices de l'État de Genève ou des établissements affiliés qui vivent un conflit sur leur lieu de travail, susceptible de dégénérer en atteinte à la personnalité, voire en harcèlement. Au cours de ces entretiens, qui visent à aider les personnes à mieux comprendre leur situation et à trouver des issues à leurs difficultés, celles-ci évoquent souvent le fait de ne pas savoir comment réagir face aux différents épisodes conflictuels éprouvants qu'elles sont amenées à vivre au quotidien. Elles se demandent par exemple comment répondre à des propos ressentis comme blessants ou humiliants, ou à une répartition perçue comme inéquitable du travail.

Certaines d'entre elles relatent le fait de n'avoir rien osé dire et essaient de supporter passivement des comportements ou des situations qui les font souffrir, en espérant que leur attitude docile et conciliante soit la voie vers l'apaisement. À l'opposé, d'autres relatent comment, n'étant pas de nature à se laisser faire, elles sont montées aux barricades, ont vertement déclaré leur manière de penser, ont parfois explosé dans des explications ou ont exprimé maladroitement leur difficulté à un collègue, à un collaborateur ou à leur hiérarchie, générant chez leur interlocuteur incompréhension et tension.

Pour aider les personnes à réagir face aux tensions relationnelles sans les amplifier, une plateforme de prévention et de gestion des conflits au sein du personnel de l'administration cantonale a été élaborée et est accessible par le lien Intranet-État suivant : gestion-des-conflits.

Dans cet article, nous souhaitons rappeler, tant à l’attention des collaborateurs que de leur hiérarchie, l’importance de prendre sa part de responsabilité dans le conflit, de veiller à formuler son ressenti, son seuil de tolérance, ce qui est vécu comme inacceptable, son mécontentement de manière constructive ou encore d'accueillir avec empathie la demande d'autrui. Cette posture permet de contribuer au maintien d'un climat de travail harmonieux et d'une collaboration opérante ainsi que de sortir d'un sentiment d'impuissance, voire de victimisation.

 

I. Prendre la responsabilité de subir ou de ne pas subir en communiquant

Dans un contexte professionnel, les personnes qui n'osent pas exprimer ce qui est important pour elles s'adaptent souvent au mode de procéder de leurs collègues, de leurs collaborateurs ou de leur hiérarchie, quitte à ce que leurs prestations, voire leur état de santé se péjorent de par la situation d'inconfort. Il s'agit d'un cas de figure observé fréquemment par le Groupe de confiance.

Or, en règle générale, il est important que les personnes fassent savoir ce qu'elles ne tolèrent pas, délimitent ce qu'elles se sentent capables de supporter et expriment leur avis. Se taire ou esquiver la discussion permet rarement de résoudre le désaccord. Les difficultés ne disparaissent malheureusement pas avec le temps. Au contraire, l'attente accroît souvent les tensions, lesquelles peuvent générer ressentiment, colère, amertume et démotivation, voire de l'épuisement si on tarde à agir. Et comme le mentionne M. B. Rosenberg, psychologue et auteur de la "communication non-violente" : "si nous n’accordons pas de valeur à nos besoins, les autres ne leur en accorderont pas davantage".

Au Groupe de confiance, les entretiens individuels et confidentiels peuvent amener la personne rencontrant ce type de difficultés à mettre de la réflexion là où l'émotion souvent domine et à prendre la responsabilité de ne plus subir une situation vécue comme pénible, problématique, à se remettre en mouvement et à entrevoir des pistes de solution.

En effet, cette étape de recherche de compréhension permet d'une part à la personne de s'interroger sur son implication personnelle éventuelle, sur sa propre attitude et sa manière d'être, sur son implication dans le travail, et sur sa manière de participer à la vie de l'équipe. Cette démarche ne signifie pas que la personne se considère comme seule responsable des problèmes, bien au contraire. L'objectif est de clarifier les facteurs en jeu dans le conflit, ce qui implique notamment de délimiter la part de responsabilité que la personne accepte de reconnaître. D'autre part, cette étape de recherche de compréhension vise aussi à se pencher sur soi, à cerner ce qui fait mal, à définir ce que l'on ne souhaite plus accepter. En d'autres termes, s'il est important de respecter le cadre de travail et les collègues, il est tout aussi essentiel de se respecter soi-même et de ne pas rester à supporter des comportements que l'on ressent comme intolérables, voire nuisibles, sans réagir.

Une fois cette étape effectuée, il est intéressant d'observer les freins qui peuvent toutefois empêcher les personnes de s’exprimer, même s'il s'agit de reconnaître que, dans le contexte professionnel et compte tenu des liens hiérarchiques ou des enjeux tels que les évaluations, certains freins peuvent être légitimes. En voici quelques exemples fréquemment évoqués, issus de notre pratique : "cela ne sert à rien", "je ne serai pas entendu", "demander directement, cela ne se fait pas", "l’autre connaît mes besoins, c'est donc du temps perdu".

Il est donc important pour la personne de réfléchir à la réaction objectivement probable de l'interlocuteur. La personne peut, par exemple, effectuer l'exercice de s'imaginer à la place de l'interlocuteur et réfléchir ainsi à la manière avec laquelle elle percevrait et réagirait à sa propre demande. Cela permet à la personne de relativiser ses freins et ses peurs, surtout que ces dernières ont fréquemment une composante irrationnelle et subjective. La personne peut également lister les avantages et les inconvénients à ne rien dire tant maintenant que sur le moyen et long terme, puis effectuer le même exercice en imaginant avoir communiqué sa difficulté à l'interlocuteur. Cet autre exercice peut aider à prendre du recul et à évaluer ce qui est plus lourd de conséquence entre s'exprimer ou se taire, puis à envisager des avantages à rompre le silence et trouver ainsi la motivation et le courage d'affronter ce qui fait peur.

Aussi, quand les conditions le permettent, certaines personnes décident d'entamer un dialogue par elles-mêmes ou par le biais d'une médiation, dans une perspective de collaboration et dans le souci du cadre et de leurs devoirs de fonction. D'ailleurs, nous observons que le processus de médiation permet à chacune des parties d'évoquer son point de vue, ses blessures, ses émotions dans un cadre sécurisé, d'entendre la perception de l'autre sur le conflit et de tenter de trouver ensemble des solutions.

 

II. Comment exprimer une difficulté de manière constructive ?

S'il est le plus souvent recommandé d'exprimer ses difficultés, prendre soin de la manière de les communiquer est fondamental. Certaines situations que nous rencontrons au Groupe de confiance montrent que tant l'absence de dialogue que l'agressivité (critiques à des tiers ou mépris) provoquent chez les personnes de l'inconfort, voire de la souffrance au travail. Ces deux types d'attitudes sont toutes deux contre-productives et offrent peu de chance de se faire entendre et comprendre.

Par contre, développer une attitude générale dans son travail quotidien, avec ses collègues, ses collaborateurs et ses supérieurs, qui consiste à s'affirmer apporte souvent plus de garantie d'être entendu. Un comportement assertif consiste à exprimer de manière assurée et directe ce que l'on souhaite tout en considérant respectueusement les opinions et le point de vue des autres, avec lesquels il va falloir composer, même s'ils sont différents des nôtres. S'affirmer, ce n'est pas écraser les autres, ni devenir agressif, mais implique de sortir de l'ombre, de faire valoir son opinion.

Ainsi lorsque les personnes se trouvent face à un comportement vécu comme douloureux, blessant, voire inacceptable, il est le plus souvent recommandé qu'elles en avisent l'auteur. Cet avis peut se communiquer dans le feu de l'action ou dans le cadre d'une discussion sollicitée et planifiée, les deux possibilités n'étant pas exclusives. Cependant, pour être constructive, cette communication devrait respecter certaines règles de base, inspirées de M. B. Rosenberg et F. Fanget, médecin psychiatre et psychothérapeute, même s'il n'existe pas de recette magique.

1. Définir clairement son besoin et énoncer une demande concrète

Plus les personnes expriment avec précision ce qu'elles souhaitent, plus elles ont de chances de l'obtenir. Mais évidemment, cela nécessite d'abord qu'elles définissent clairement ce qu'elles souhaitent. La demande devrait alors être formulée dans un langage d'action clair, positif et concret, un langage imprécis pouvant semer la confusion. Le discours factuel serait à privilégier, en faisant référence à des exemples précis, et en formulant des demandes concrètes et réalistes.

Définir clairement son besoin et formuler une demande concrète et circonstanciée permettent souvent d'éviter une éventuelle escalade conflictuelle, une confusion entre le problème et la personne ainsi qu'une focalisation sur les positions plutôt que sur les intérêts.

2. Parler de soi

Parler de soi, en son nom, de ses besoins, de ses ressentis, en commençant sa première phrase par "j'aimerais", "je souhaite", "j'apprécierais", etc. et en faisant part éventuellement de son ressenti douloureux (par exemple: "je me suis senti traité de manière injuste par la nouvelle répartition du travail", "j'ai été blessé par tes propos lors de cette réunion", etc.), favorise les chances d'une prise en compte de son besoin par son interlocuteur. A l'inverse, le "tu" et le "vous" peuvent être porteurs de jugement et d'accusation (par exemple: "Vous avez mal réparti la charge de travail entre mes collègues et moi", "tu as eu des propos blessants à mon égard", etc.). Et même si cette intention ne devait pas être celle de l’émetteur, il est fréquent que l'interlocuteur ressente ce type de formulation comme une critique, un jugement ou une dévalorisation.

3. Maîtriser ses appréciations subjectives et être attentif à l’autre 

L'être humain est naturellement enclin à ressentir soit de la sympathie, soit de l'antipathie, ou encore de l'indifférence vis-à-vis d'autrui, quel que soit le contexte. Or ces trois attitudes peuvent créer un biais dans la communication ou la considération d'autrui et sont des obstacles à l'écoute nécessaire. Il s'agit donc d'en être conscient.

L'empathie, par contre, est une attitude particulière qui permet à la personne de se mettre à la place de l'autre, en considérant les émotions de son interlocuteur, sans pour autant perdre la conscience d'être soi. Celle-ci réussit ainsi à se dire: "je comprends que vous soyez embarrassé par ma demande", par exemple. Être attentif à son interlocuteur induit une posture plus souple facilitant la communication, favorisant la résolution des conflits. La personne sera plus encline à se dire, par exemple, "je me donne le droit de demander, je donne donc à l'autre le droit de refuser ou de négocier", "je laisse libre mon interlocuteur de choisir sa réponse".

 

III. Savoir entendre et répondre à la demande de l’autre

"Comment expliquer, malgré l'extraordinaire diffusion des connaissances et techniques de communication, que nous soyons aussi peu enclins à écouter ?" c'est la question qu'A. Stimec, médiateur, formateur et chercheur s'est posée. Nous trouvons intéressant de faire part ici de son explication qui réside, selon lui, à un niveau cognitif. Il décrit en particulier trois grands freins à l'écoute.

Un premier frein est le besoin de "vider son sac". Lorsque deux personnes en interaction ressentent une grande frustration, les deux interlocuteurs ont besoin de rencontrer de l'empathie, attendent de l'écoute, mais peuvent difficilement en donner car ils sont noyés dans leurs problèmes.

Un deuxième frein est la toxicité du message. Il est difficile d’écouter une personne si celle-ci vous dévalorise, vous insulte, déforme vos propos ou votre vécu. La colère amène souvent à agir de la sorte. Elle entraîne à la fois une diminution de l'écoute et renforce la frustration de ne pas être écouté, générant encore plus de colère, pouvant conduire à des propos toxiques. Or, ce n'est pas la colère qui est problématique (au contraire, la colère est une émotion comme une autre) mais la toxicité qui peut l'accompagner.

Et un troisième frein à l'écoute est la confusion entre comprendre et être d'accord. Les personnes ont peur que leur compréhension de la demande de leur interlocuteur soit considérée par ce dernier pour un acquiescement. Elles se sentent alors comme obligées de corriger immédiatement ce qui a été émis par leur interlocuteur de peur que la compréhension du message soit reçue comme un consentement.

Pourtant, il est important et bénéfique de comprendre et de reconnaître les personnes dans ce qui fonde leurs souhaits, et cela n'implique pas de devoir nécessairement aller dans le sens de leur réalisation.

Finalement, afin de pouvoir entendre son interlocuteur et que celui-ci se sente compris, il s’agit de voir derrière sa demande, quels que soient les mots choisis, simplement une personne en quête de solution.

 

Conclusion

Le message est finalement celui-là: c’est grâce à tout un chacun, étant ou devenant actif dans la responsabilité de l'expression respectueuse de ses demandes, tout en étant réceptif à celles de l’autre, que la participation au développement d'une culture commune de gestion des conflits peut petit à petit se construire. De ce fait, cette attitude favorise l’écoute réciproque et l’appréhension des conflits de manière constructive, pour contribuer à réduire la souffrance au travail et favoriser un climat de travail serein.

Ch. Rojzman, créateur d'une méthode transdisciplinaire de thérapie sociale visant la transformation des modes de coopération, dit: "Les mots "violence" et "conflits" sont souvent pris l'un pour l'autre. Ainsi, par peur de la violence, ce sont les conflits que nous taisons. Et c'est l'impossibilité d'exprimer ces conflits qui provoquent la violence… Pouvoir dire en quoi je ne suis pas d'accord, ce que je déplore, ce que je rejette ou ce que je subis me permet de mettre à distance une colère qui avait besoin d'être entendue. La mise en place d'un espace de parole et d'écoute véritables permet de faire sortir les démons intérieurs… le conflit fait partie de la vie…il ne saurait être question de chercher à éviter les conflits: ce serait avoir une image fausse et idéalisée de la vie collective". Rojzman rappelle donc qu'il s'agit de ne pas oublier que les différends font partie de toute vie collective et qu'ils sont à considérer comme un processus normal, ni bon, ni mauvais, permettant à ce titre l'expression des différences.

 

Bibliographie :

  • Fanget Frédéric, Affirmez-vous! Pour mieux vivre avec les autres. Odile Jacob, Paris, 2011
  • Rojzman Charles, Sortir de la violence par le conflit. Une thérapie sociale pour apprendre à vivre ensemble. Editions La Découverte, Paris, 2008
  • Rosenberg Marshall B., Les mots sont des fenêtres (ou des murs). Introduction à la communication non-violente. Jouvence Editions, 1999
  • Stimec Arnaud, La médiation en entreprise. Dunod, Paris, 2011

 

Image Pixabay, auteur :  OleksandrPidvalnyi

Date de publication
15 octobre 2024