"Trois questions à... Martine Brunschwig Graf"

Photo Martine Brunschwig Graf
Photo Martine Brunschwig Graf
Aujourd'hui, Martine Brunschwig Graf est l'invitée de la rubrique "Trois questions à…". Après avoir été Députée au Grand Conseil genevois, Conseillère d'Etat et enfin Conseillère nationale, Martine Brunschwig Graf préside, depuis 2012, la Commission fédérale contre le racisme (CFR). Lutter contre le racisme et les discriminations raciales est donc au cœur de ses priorités.  

Ces derniers mois, la Suisse a été le théâtre de manifestations de grande ampleur suite au meurtre de George Floyd; par ailleurs, un nombre record d'actes antisémites a été dénoncé par la CICAD (147 en 2020), avec, en ce début d'année, la profanation de synagogues dans trois cantons. Enfin, la votation fédérale sur l'interdiction de se dissimuler le visage a été l'occasion, sur les réseaux sociaux, de propos violents assimilant islam et radicalisation religieuse. Dans un tel contexte, quelle est votre perception de l'évolution de la situation du racisme en Suisse ?

La Suisse n’échappe malheureusement pas aux actes et paroles racistes et antisémites, ni à la discrimination raciale. 59 % des personnes interrogées par l’Office fédéral de la statistique (Enquête Vivre Ensemble) estiment que le racisme est un problème de société contre lequel il faut lutter. Cette même enquête montre que le pourcentage de personnes qui ont des opinions négatives à l’égard de groupes exposés au racisme (musulmans, juifs, noirs) reste relativement constant, entre 9 % et 11 %. En revanche, les actes racistes – physiques et verbaux – augmentent en période de pandémie, de même que les théories du complot et les fake news à caractère raciste. Il est vrai aussi que des initiatives populaires telles que celles sur les minarets ou l’interdiction de se dissimuler le visage ont servi de prétexte pour tenir des propos hostiles aux musulmans. Il importe donc d’être vigilant et conscient que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est une tâche de longue haleine, en Suisse comme ailleurs.

 

Etant donné ces défis, quelles sont les actions et stratégies que la CFR estime être les plus efficaces en matière de prévention du racisme ces prochaines années ? Estimez-vous plus pertinent de viser le racisme en général ou pensez-vous qu'il convient d'élaborer des stratégies spécifiques selon les formes de racisme concernées (racisme anti-Noir.e.s, antisémitisme, hostilité envers les musulman.e.s, etc.) ?

La lutte et la prévention passent par des actions multiples. Il faut à la fois des démarches de prévention globales et d’autres actions qui visent des problématiques plus spécifiques. Ainsi, des campagnes qui visent la lutte contre le racisme sur le lieu de travail concernent tous les groupes exposés à la discrimination raciale. En revanche, lorsqu’il s’agit de démarches pédagogiques qui visent par exemple à aider enseignants et élèves à mieux s’approprier certaines questions, telles que le racisme antinoir, la Shoah et l’hostilité à l’égard des musulmans, il s’agira de démarches spécifiques pour lesquelles il faudra aborder les questions liées à la Suisse et au colonialisme, l’antisémitisme à travers l’histoire ou encore les stéréotypes et les préjugés qui touchent les musulmans. Il n’y a pas de recette miracle mais des actions réfléchies et adaptées aux objectifs visés.

 

Ces dernières années, les spécialistes et les associations de lutte contre le racisme, favorables à l'article 261 bis du Code pénal, ont parfois donné de la voix pour dire que cette norme pénale n'était ni assez sévère (pour preuve le nombre réduit des cas traités par les tribunaux) ni suffisante car ne traitant que le volet pénal concernant le racisme. Pensez-vous qu'il serait nécessaire ou utile d'avoir de véritables lois contre le racisme au(x) plan(s) fédéral et/ou cantonal incluant aussi d'autres volets (protection, représentation/inclusion, prévention/sensibilisation/formation, recherche, etc.) ? 

Pour la CFR, les améliorations légales à apporter portent sur des dispositions à introduire dans le code civil pour lutter contre la discrimination raciale au quotidien. Actuellement, nous constatons – comme d’autres observateurs – que les personnes qui s’estiment victimes de discrimination raciale lors de la recherche d’un logement, d’un emploi, au travail ou dans les relations avec les services publics, par exemple, ont de grandes difficultés d’accès à la justice car la législation civile ne possède pas de dispositions spécifiques sur la question de la discrimination raciale. C’est dans ce domaine que la CFR travaille en ce moment.

 

Crédit photo : Eric Rossier