1) Vous êtes en charge de la coordination et des relations extérieures du Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI) depuis 13 ans. Quels sont vos principaux constats par rapport aux personnes qui sont usagères des prestations du CCSI?
De manière générale, nous constatons qu’une part croissante de nos usagers et usagères sont dans une importante précarité, ou du moins dans des situations à risque. Un nombre croissant des familles que nous suivons ont des difficultés à stabiliser leur situation, que ce soit au niveau du logement, du travail, ou d’autres problématiques psycho-sociales. La crise du Covid a bien sûr laissé des traces, mais d’autres facteurs plus structurels ont aussi un impact. Nous voyons de nombreux parcours migratoires circulaires (allers-retours entre la Suisse et le pays d’origine, ou le pays d’arrivée en Europe), voire des parcours d’errance.
Cela nous préoccupe, parce que cette instabilité est dommageable pour leur intégration. Il est en effet compliqué de se projeter dans l’avenir quand les besoins de base sont une préoccupation quotidienne.
2) Par rapport à la politique d'intégration du canton de Genève dans laquelle vous vous êtes beaucoup investie, notamment dans le suivi de la mise en œuvre des programmes d'intégration cantonaux (PIC), quelles sont les évolutions que vous avez pu constater?
L’action en matière d’intégration est bien davantage structurée qu’elle ne l’était il y a 15 ans. Elle s’est également beaucoup professionnalisée, tant dans la gestion que dans la mise en œuvre. Les cadres légaux et réglementaires ont permis de poser l’architecture, et plus particulièrement d’établir l’intégration comme une véritable politique publique. Il reste bien sûr du chemin à faire pour que l’ensemble des parties prenantes jouent pleinement leur rôle dans ce domaine, mais je constate une vraie prise de conscience autour de l’idée que l’intégration est une tâche transversale. Cela étant, l’exemple du CCSI montre que les moyens demeurent malheureusement insuffisants pour couvrir l'ampleur des besoins reconnus comme essentiels.
3) Enfin, quelles seraient les recommandations que vous pourriez formuler pour les années à venir et la mise en œuvre du PIC 3 dès janvier prochain?
Le PIC 3 a fait l’objet d’une large consultation, un processus que je tiens à saluer et qui, j’en suis certaine, permettra au programme de viser au plus juste. Mais il existe deux écueils dans lesquels on risque de tomber. D’une part, on risque de réduire petit à petit la politique d’intégration aux mesures financées par le PIC. Or, à notre sens, cette politique devrait être bien plus large, notamment pour s’ancrer véritablement de manière transversale dans l’action des collectivités publiques. D'autre part, il existe une tendance, surtout au niveau fédéral, qui focalise les politiques d’intégration sur certaines populations spécifiques – en particulier les populations issues du domaine de l’asile, avec un focus très fort sur les mesures visant à améliorer l’employabilité. À nouveau, l’intégration concerne en réalité un bassin bien plus étendu : les personnes venant de l’Union européenne, celles qui arrivent via le regroupement familial, les personnes récemment régularisées, etc., toutes devraient pouvoir bénéficier de mesures d’intégration. Sans oublier le rôle de la société d’accueil. Ces éléments devraient faire l’objet d’une attention particulière, notamment dans le cadre de la révision de la loi cantonale sur l’intégration.