Madame la Conseillère d'État, Monsieur le Maire de la Ville de Genève, Mesdames les députées, Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les maires, conseillères administratives et conseillers administratifs, Mesdames et Messieurs les conseillères municipales et conseillers municipaux, Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui à cette conférence sur l'antisémitisme. La salle complète montre que la thématique intéresse et touche.
La lutte contre l'antisémitisme est un thème très important à mes yeux. Si nous avons souhaité organiser cette conférence, c'est parce qu'elle s'inscrit dans la continuité de notre politique en matière de prévention du racisme que je mène au sein de mon département avec le bureau de l'intégration et de la citoyenneté.
En effet, cette conférence fait suite à la publication du podcast réalisé par l'association Chahut média intitulé "Qui a peur des Juifs ? Antisémitisme : la tentation perpétuelle". Nous aurons donc l'occasion, ce soir, d'approfondir plusieurs sujets évoqués dans ce podcast qui a remporté un grand succès en Suisse et en France notamment.
Notre but est de contribuer à une meilleure visibilisation et compréhension de l'antisémitisme, lequel, malheureusement, continue d'être présent dans nos sociétés. Les chiffres du dernier rapport de la CICAD 2023 sur l'antisémitisme en Suisse romande montre une hausse alarmante de 68 % des actes antisémites par rapport à 2022.
En effet, pour la plupart de nos concitoyens et concitoyennes de confession juive, l'antisémitisme fait partie d'une expérience vécue, ceci par le biais d'expressions parfois manifestes, mais souvent latentes, des stéréotypes, des préjugés, et des micro-agressions conscientes ou inconscientes qui sont proférés sous formes de remarques, reproches, "blagues" ou sous-entendus. Parfois, l'antisémitisme peut aussi prendre la forme de discours haineux, de violences symboliques ou physiques envers des personnes ou des institutions.
Nous savons que l'antisémitisme a une longue et constante histoire de violence et de haine d'une grande ampleur qui traversent les siècles depuis l'antiquité jusqu'à aujourd'hui sous la forme ancienne de l'antijudaïsme chrétien, les pogroms et expulsions de différentes parties de l'Europe depuis le Moyen Age jusqu'au cumul de crimes nazis et la Shoah. Ces expériences répétées de violences laissent des traces douloureuses dans chaque membre de la communauté. L'antisémitisme a aussi un historique ici dans notre pays et même notre canton. En témoigne par exemple le « cancel », le ghetto juif médiéval de Genève, qui nous rappelle l’expulsion de la population juive de Genève au 15e siècle pour n’être autorisée de revenir qu'à partir de 1816.
De nos jours, nous observons aussi un nouvel antisémitisme lié au conflit israélo-palestinien et à l'antisionisme. Il est sous-jacent également dans beaucoup de théories du complot qui ont comme bouc-émissaire souvent "le Juif" qui dans l'imagerie conspirationniste et antisémite est omnipotent, riche, puissant et manipulateur. Nous avons vu beaucoup de ces exemples durant la période du Covid. L'idéologie antisémite fleurit aussi sur internet, dans les médias,
les réseaux sociaux, et c'est un vecteur qui est particulièrement difficile à contrôler et à sanctionner.
L'antisémitisme est souvent réduit à l'idéologie du nazisme et l'extrême-droite. Or, ces différentes formes d'antisémitisme que nous venons de citer nous montrent qu'il est présent également au sein de notre société et dans toutes les composantes de l'échiquier politique.
Point important à souligner, l'antisémitisme est également, comme le dit Illana Weizmann, un angle mort de l'antiracisme. C'est une forme de racisme qui est malheureusement souvent oubliée, négligée, peu connue et qu'on craint d'aborder. Par conséquent, le thème de l'antisémitisme peut facilement être laissé de côté dans le cadre général des luttes et des mouvements antiracistes. Alors que la lutte contre le racisme et l'antisémitisme est notre affaire à tous et toutes, quel que soit notre bord politique.
Il est donc pour nous, tant autorités que membres de la société civile, particulièrement important d'entendre et de reconnaitre la parole des minorités juives, comme pour toute autre minorité, et de soutenir leurs demandes de protection et de soutien.
Je voudrais maintenant préciser – et c'est important – que nous avions décidé d'organiser cette conférence avec le BIC bien avant le début du conflit au Proche-Orient. Et si nous avons décidé de maintenir cette conférence, malgré un contexte international difficile et tendu, c'est que nous estimons qu'il est plus que jamais primordial d'aborder la problématique de l'antisémitisme. En effet, depuis le 7 octobre dernier, nous assistons à une flambée de propos et actes antisémites, que ce soit à Genève, en Suisse, en France ou ailleurs en Europe.
Ce conflit au Proche-Orient semble avoir agi comme un catalyseur et avoir dévoilé un antisémitisme latent toujours présent dans nos sociétés. Nous témoignons d'une montée d'actes et violences ainsi que de discours haineux ici dans notre canton et cela nous inquiète particulièrement car ce climat malsain et dangereux menace la cohésion sociale.
Des amalgames récurrents et des raccourcis abusifs confondent la politique menée par le gouvernement israélien avec l'ensemble des personnes d'appartenance juive et importent ainsi ce conflit aussi dans notre canton. Je tiens donc ici à réitérer une fois de plus la position du Conseil d'État genevois : il condamne fermement tout acte ou propos relevant du racisme ou de l'antisémitisme, comme il l'a toujours condamné.
Comme je viens de le dire, mon département est engagé contre toute forme de racisme, de discrimination ou d'intolérance. Nos propos portent, aujourd'hui, sur l'antisémitisme mais nous nous engageons de la même manière, avec le bureau de l'Intégration et de la citoyenneté, face à d'autres formes de racisme, comme le racisme anti-musulman ou le racisme anti-Noir.
Il est important pour nous de pas mettre en concurrences ces différentes expériences de discriminations et de racisme. Il faut soutenir toutes les actions de prévention pour lutter efficacement contre toutes les formes de racisme et instaurer un dialogue entre les différentes populations concernées, favoriser des alliances et les synergies, et promouvoir l'empathie et la solidarité entre toutes et tous.
Aujourd'hui, dans le cadre de cette conférence, nous souhaitions en particulier contribuer à une réflexion de fond et un partage au sujet de l'antisémitisme. Nous avons aussi souhaité mettre un accent plus particulier sur la pédagogie et les formations visant à prévenir l'antisémitisme et d'autres formes de racisme, racisme antimusulman, anti-noir, etc. L'objectif est de voir comment favoriser une action concertée entre des partenaires privés et publics, pour contribuer collectivement à prévenir des replis identitaires et le rejet de l'autre.
Nous entendons poursuivre sur cette voie dans les années qui viennent, avec une détermination et une motivation renouvelées. Le Conseil d'Etat est d'ailleurs particulièrement fier du fait que le Canton de Genève ait été le premier à prendre l'initiative d'interdire les signes nazis et que le Grand Conseil ait accepté à sa quasi-unanimité - 83 oui contre 1 non - un projet de loi constitutionnel pour l'interdiction "des symboles de haine dans les espaces publics", sur lequel le peuple sera amené à se prononcer prochainement.
Le DCS a aussi entamé des travaux de rédaction d’un projet de loi cantonale pour l'égalité et contre les discriminations raciales qui constituera, une fois acceptée, une loi sectorielle complétant la Loi générale sur l'égalité et la lutte contre les discriminations, la LED déjà entrée en vigueur le 1er juillet 2023.
Je profite de cette prise de parole pour exprimer ma reconnaissance aux organismes et institutions qui ont participé à l'organisation de cette soirée, et mes remerciements les plus chaleureux à toutes les personnes qui sont présentes ce soir, et j'espère de tout cœur que cette conférence se déroulera dans un esprit de bienveillance, d'ouverture, de tolérance et de solidarité.
Merci de votre attention.