Discours du conseiller d'Etat Thierry Apothéloz

Photo du magistrat Thierry Apothéloz pendant son discours sur l'insertion professionnelle des personnes réfugiées à Genève le 19 mai 2025
Photo du magistrat Thierry Apothéloz pendant son discours sur l'insertion professionnelle des personnes réfugiées à Genève le 19 mai 2025
A l'occasion de la conférence sur les parcours vers l'emploi des personnes réfugiées à Genève, le 19 mai 2025.

Chères et chers collègues, partenaires, participantes et participants,

Mesdames et Messieurs,

A mon tour de vous souhaiter la bienvenue à cet événement. Dans quelques minutes, nous allons entendre des chercheuses et chercheurs nous présenter les résultats d’évaluations rigoureuses. Ces travaux académiques nous éclaireront sur les barrières, tant macroéconomiques qu’individuelles, qui freinent l’accès à l’emploi des personnes réfugiées. Mais sans attendre ces exposés, permettez-moi d’évoquer brièvement quelques-unes de ces barrières, que nous connaissons trop bien :

  • La barrière de la langue, évidemment, dans un canton où la maîtrise du français conditionne l’accès à presque tous les secteurs professionnels.
  • Un marché de l’emploi très concurrentiel.
  • Un taux de chômage plus élevé ici qu’ailleurs en Suisse.
  • Et des barrières administratives liées au permis, notamment pour les titulaires de permis N et S, qui complexifient l’accès à l’emploi et dissuadent parfois les employeuses et les employeurs.

A la fin 2024, seules 16% des personnes relevant de l’asile étaient en emploi à Genève. C’est l’un des taux les plus bas de Suisse. On le constate, les barrières évoquées font de réels dégâts. Mais ce chiffre n’est pas une fatalité et notre objectif est clair : l’élever. Le canton de Genève, en synergie avec la Confédération, agit avec détermination dans ce but. Mais que faisons-nous exactement ?

  • Les personnes réfugiées dans notre canton bénéficient d’un accompagnement individuel et de mesures adaptées pour atteindre une autonomie sociale et financière durable dans les meilleurs délais ;
  • L’ensemble des personnes du domaine de l’asile bénéficie de cours de français financés dans les centres de formation partenaires de l’État de Genève. Chaque année, plus de 4000 personnes suivent ainsi une formation de qualité ;
  • Le préapprentissage d’intégration (PAI), coordonné par l'Office de formation professionnelle et continue (OFPC), permet chaque année à des jeunes âgés de 18 à 35 ans de mettre à niveau leurs compétences en vue d’entrer en formation AFP ou CFC ;
  • Le programme Horizon académique insère des personnes réfugiées dans les cursus universitaires ou des hautes écoles genevoises et leur permet de décrocher un diplôme en vue de s’insérer professionnellement ;
  • Les conseillers et conseillères en personnel de l’office cantonal de l’emploi, ainsi que de l’Hospice général, soutiennent chaque année des centaines de personnes réfugiées à trouver un emploi ;
  • Les entreprises genevoises qui engagent une personne réfugiée obtiennent un soutien financier public, dans le cadre du programme d’aide vers l’emploi (PAVE), piloté par l'Hospice général.

Permettez-moi de m’attarder sur l’accompagnement individuel dont bénéficient les personnes relevant de l’AIS depuis 2019. J’ai eu la chance de participer à une après-midi d'entretiens de positionnement. C’est une séance au cours de laquelle la personne réfugiée expose ses projets professionnels, élaborés lors d'un séminaire de plusieurs semaines, aux collaboratrices et collaborateurs des institutions publiques. La pertinence des projets est évaluée de manière collective et des conseils sont adressés au bénéficiaire, afin de valider ensemble une cible réaliste. Trois éléments m’ont profondément marqué :

  1. D’abord, la forte motivation des personnes réfugiées à travailler, rapidement, souvent dans les domaines qu’elles ont dû abandonner en quittant leur pays ou à se former dans une nouvelle voie. Cela tombe bien, car l’AIS n’est pas un oreiller de paresse. C’est un dispositif exigeant qui active les bénéficiaires et leur demande une implication totale.
  2. Ensuite, l’efficacité de la démarche. Oui, cela prend du temps et cela demande un investissement financier d’accompagner de manière individuelle une personne réfugiée. Toutefois, c’est bien grâce à cela qu’un projet professionnel clair et réaliste est fixé. Il est discuté et négocié avec la personne concernée, qui se l’approprie, renforce sa motivation, sa confiance et s’active pleinement dans la recherche d’emploi. L’accompagnement individuel renforce grandement les chances d’aboutir à une insertion professionnelle durable.
  3. Enfin, j’ai été impressionné par l’exemplarité de la collaboration interinstitutionnelle : les institutions publiques sont toutes assises autour de la table, deux après-midis par semaine. Elles cassent les silos et travaillent main dans la main avec pour seul objectif l’intérêt des bénéficiaires. Le partage d’expériences et d’informations est un pilier de l’AIS et il est fondamental.

Ainsi, les entretiens de positionnement représentent très bien pour moi les grands atouts de l’AIS : l’activation des bénéficiaires, un accompagnement très ciblé, une collaboration étroite et transparente entre institutions.

Nous devons absolument continuer à renforcer cette intelligence collective :

  • En travaillant sur nos pratiques professionnelles, pour plus de clarté, de cohérence et de lisibilité ;
  • En construisant un socle commun entre institutions, même si c’est difficile. Nous devons sortir de nos jargons pour mieux nous comprendre, et donc mieux servir la population genevoise.

Et n’oublions jamais pour qui nous travaillons. Les personnes réfugiées ont souvent des parcours de vie marqués par les ruptures, le danger, l’exil. Leur engagement à apprendre la langue, à chercher un emploi, à intégrer un réseau local, est admirable. Elles ont besoin du coup de pouce des institutions publiques, mais aussi du secteur privé, pour passer le cap de l’insertion professionnelle.

En janvier dernier, nous avons invité le conseiller fédéral Beat Jans à Genève pour échanger sur l’insertion professionnelle des personnes titulaires de permis S, les réfugiés d’Ukraine. Dans son discours, M. Jans a dit, je le cite : « Si 60 entreprises genevoises engageaient chacune six personnes réfugiées, Genève atteindrait la moyenne suisse d’insertion des permis S d’un seul coup. » Je me joins à son appel et je l’étends à l’ensemble des personnes relevant de l’asile. L’effort est réel, mais il n’est pas insurmontable.

Et j’entends assumer ma part, car l’Etat se doit d’être exemplaire. Une personne réfugiée d’Ukraine a récemment rejoint l’équipe du BIC, qui coordonne l’AIS et a organisé cet événement. Des pré-apprentis et des apprentis du domaine de l’asile se forment aujourd’hui dans mon département. Et ce n’est qu’un début. Je vais continuer à sensibiliser mes collègues pour que cet effort se généralise à l’ensemble des services et offices de l’État de Genève.

Le secteur public doit faire sa part, mais nous devons aussi continuer à mobiliser le secteur privé. Dans ce but, j’ai demandé à mes équipes de renforcer refugees@work, une initiative du canton qui permet de sensibiliser les entreprises genevoises à la densité de professionnels talentueux que l’on trouve dans le domaine de l’asile. J’en appelle ici à toutes les entreprises présentes : ouvrez vos portes, osez la rencontre.

Nous insistons sur l’insertion professionnelle car chaque embauche est une victoire, et pas seulement en termes d’économies pour l’Etat. C’est avant tout une victoire pour la stabilité de la personne réfugiée qui a trouvé un travail et pour celle de sa famille. Trouver un travail, c’est aussi étendre son cercle social, son réseau, et cela permet parfois de renforcer son estime de soi. C’est aussi une victoire pour l’entreprise qui recrute une personne compétente et motivée.

Permettez-moi également de préciser un point essentiel : l’employabilité des personnes réfugiées ne se fait pas au détriment de celle des citoyennes et citoyens suisses. Il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, mais bien d’un enjeu global de cohésion et de dynamisme économique. Dans un marché de l’emploi élargi, chacune et chacun —qu’elle ou il soit issu d’un parcours migratoire ou né ici—bénéficie d’opportunités renforcées : davantage de compétences disponibles, plus de créativité au sein des équipes, et une meilleure adaptation aux besoins changeants des secteurs.

Donner leur chance à toutes et tous, c’est maximiser le potentiel collectif. En ouvrant nos portes aux personnes réfugiées, nous favorisons l’inclusion de talents souvent hautement qualifiés, et nous contribuons simultanément à réduire le chômage parmi la population locale (ndlr : par ex.: dynamise du tissu économique, effet sur la demande et la consommation, complémentarité des compétences qui permet l'innovation, participation aux cotisations et à l'impôt, réduction dépendance à l'aide sociale, etc.). C’est en travaillant de concert, sans opposer les statuts, que nous construirons une société plus juste et plus prospère pour toutes et tous.

Aujourd’hui est une étape importante. Les présentations qui vont suivre sont des évaluations rigoureuses du dispositif de l'AIS mis en place depuis 2019. J’ai demandé de telles études car je considère que l’action publique doit s’appuyer sur des chiffres et des faits solidement étayés. Ces évaluations sont des outils précieux pour ajuster, améliorer, corriger ce qui ne fonctionne pas.

Avant de céder la parole, je tiens encore à remercier chaleureusement l’ensemble des personnes qui construisent au quotidien l’AIS et qui sont nombreuses dans cette salle :

  • Les collaboratrices et collaborateurs des institutions publiques, qui portent à bout de bras l’AIS ;
  • Le secteur associatif, qui fait un travail d’accompagnement remarquable ;
  • Les partenaires sociaux, qui encadrent et soutiennent le dispositif ;
  • Le secteur privé, qui engage des personnes réfugiées ;
  • La Confédération, qui apporte un soutien financier conséquent et impulse le cadre général d’action ;
  • Les hautes écoles et l’université de Genève, pour leur expertise et leur suivi ;
  • Et bien sûr, les personnes réfugiées elles-mêmes, qui sont les premières actrices de leur parcours. Leur résilience et leur persévérance sont un exemple pour nous tous.

Je vous remercie pour votre présence et votre engagement.