Observations du MIPP et déontologie policière

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24 avril 2025
Observations du MIPP et déontologie policière
Observations du MIPP et déontologie policière
Les doléances traitées par le MIPP relèvent en majeure partie de la déontologie [1]. En effet, les personnes qui ont sollicité le MIPP ces 5 dernières années se plaignaient principalement de l'attitude d'un ou de plusieurs membres de la police (75% en 2024) mais aussi d'un manque d'impartialité ou de proportionnalité qui sont des principes figurant dans le code de déontologie de la police genevoise [2]. Les codes de déontologie en fixant les valeurs d'une profession ou d'une institution signifient l'importance de la posture dans l'exercice d'une fonction.

Les situations rapportées au MIPP donnent avant tout des indications sur la manière dont les interventions de police sont perçues par la population ainsi que sur les déclencheurs de conflits, les éléments qui engendrent la perte de confiance, l'incompréhension, le sentiment d'injustice ou de frustration. La répétition et la similitude de certains récits permettent aussi d'avoir une esquisse de la réalité et de ses enjeux.

Des cas particuliers, la récurrence de certaines problématiques, mais aussi les échanges avec les membres de la police font émerger des questions d'ordre déontologique, des dilemmes moraux, auxquels les membres de la police peuvent être confrontés dans l'exercice quotidien de leur profession auprès de la population. 

  • Est-ce que le tutoiement est autorisé ? 
  • Les gens qui enfreignent la loi méritent-ils d’être traités avec respect ? 
  • Est-ce qu'on peut attendre le même respect des règles de la part des membres de la police que de la population ?
  • Est-ce proportionnel de faire peur à un mineur afin d'obtenir qu'il coopère en le menaçant verbalement de lui tirer dessus ou de l'amener dans une cave pour le tabasser ?

Si les réponses peuvent paraître évidentes et les questions provocatrices, ce sont des enjeux bien réels tirés des observations du MIPP. 

C'est pour cette expérience et son regard extérieur que le MIPP a été convié à participer à la commission de suivi du code de déontologie mise en place par la police cantonale genevoise fin 2023. L'occasion pour le MIPP d'étayer ses observations par la réflexion et l'échange.
 

Comportements contraires à la déontologie : les causes

Parmi ses observations, le MIPP s'est rendu compte qu'il y a des contextes et des facteurs qui peuvent favoriser les comportements contraires à la déontologie. Par exemple, les refus de donner un matricule ou les propos jugeants ou dénigrants ont lieu plutôt lors de situations de conflit avec une citoyenne ou un citoyen. 

Gestion des tensions, perception biaisée par son expérience professionnelle ou personnelle sont des facteurs qui influencent les interactions. Un policier qui venait d'avoir un appel téléphonique difficile, un autre qui court la plupart du temps après les voleurs et les dealers et qui n'a plus l'habitude de recevoir les victimes au poste ou encore celui dont l'histoire familiale a biaisé son appréciation sont autant de situations décrites en médiation qui montrent que le contexte peut influencer les interactions tout comme la peur ou la tension lors d'une intervention potentiellement dangereuse. 

On peut aussi faire l'hypothèse que l'exposition constante à la "misère humaine" et à la violence mais aussi aux agressions de la population jouent un rôle dans le clivage des perceptions entre les membres de la police et le reste de la population. L'étude Déontologie et relation police - population : les attitudes des gendarmes et des policiers [3] révèle que 55,7% des agentes et agents ayant répondu au questionnaire avait subi des agressions verbales et des insultes lors du mois précédent l'enquête. 

Dans leur article fondamental en matière de déontologie policière, Kevin Gilmartin et John Harris [4] expliquent que "si les policiers commencent par se sentir aliénés par rapport au public, ils peuvent bientôt se distancer du système de justice pénale et enfin de l'administration de leur propre service" (p. 4). Rupture avec le reste de la population, perte de confiance en la justice, manque de reconnaissance de la hiérarchie : c'est le sentiment d'être victime qui, au fil du temps, autorise un membre de la police pourtant intègre au départ à progressivement se compromettre, pour rétablir l'injustice, jusqu'à finir par commettre des actes de nature criminelle.

Par ailleurs, il sied de préciser que la police n'est pas une entité homogène. Différents profils et différentes conceptions de la mission cohabitent au sein de la profession. 

Ainsi la conception de son rôle d'autorité ou la compréhension de sa mission par le membre de la police peut également jouer un rôle. Par exemple, ce policier spécialisé dans les accidents de la route qui demande à la victime de faire un test d'alcoolémie avant même de lui demander si elle va bien. Lorsqu'elle lui a reproché son manque d'empathie ce dernier a répondu "ne pas être un assistant social".

L'étude récente sur la Déontologie et relations police-population met en évidence au sein de la police et la gendarmerie française la "coexistence de groupes aux orientations contradictoires, certains peu favorables à la justification et à l'écoute et d'autres au contraire orientés vers l'explication et le respect. (…) minorité d'agents fermés et autoritaires, enclins à considérer que l'écoute est une perte de temps, que les gens qui enfreignent la loi ne méritent pas d'être traités avec respect (…) (DE MAILLARD et al. p. 18).

Enfin, plusieurs recherches dont celle de Kevin Gilmartin et John Harris sur le "Continuum de la compromission" considèrent que les policiers très investis dont la vie se résume à leur travail sont ceux qui subissent le plus la frustration inhérente à leur métier et qui sont par conséquent les plus exposés à la compromission.
 

Respect de la déontologie : les bénéfices concrets pour la police 

Kevin Gilmartin et John Harris affirment qu'on "ne peut plus considérer la formation en déontologie comme une façade qui permet de faire bonne presse après un incident embarrassant qui a fait les manchettes" (p. 8). Il ne s'agit donc pas pour la police de répondre à une demande externe mais de saisir son intérêt à appliquer les règles de déontologie.

Les nombreuses recherches effectuées dans le cadre de la théorie de la justice procédurale ont mis en évidence que la légitimité de la police va découler davantage des comportements appropriés de ses membres tels qu'écoute, respect, neutralité, confiance, que des résultats de l'action policière elle-même (DE MAILLARD et al. p. 15). Au-delà de l'image, le manque de confiance de la population à l'égard de la police peut avoir des conséquences très concrètes sur l'exercice même du travail. Le MIPP a, par exemple, été sollicité à plusieurs reprises pour des situations où l'intervention a dégénéré alors qu'il n'y avait pas d'infraction au départ. Cela peut avoir pour conséquences, outre le travail administratif supplémentaire, un usage de la force avec les risques de dommages que cela peut occasionner tant pour la police que pour la personne interpellée. Autre exemple, les jeunes qui partent en courant en voyant des policiers, car dans leur représentation la police est dangereuse. Les policiers leur courent alors après en se disant qu'ils doivent avoir quelque chose à se reprocher. En bout de course ils se rendent compte qu'ils ont tous couru pour rien. Nombreuses sont les situations qui sont arrivées au MIPP parce que la citoyenne ou le citoyen a douté de la légitimité des décisions du membre de la police à cause de son attitude.

Une bonne image et l'empathie vont favoriser la confiance, la coopération et la crédibilité des décisions de police. Le comportement verbal et non-verbal est aussi important pour l'efficacité d'une intervention que les connaissances techniques. On peut citer comme autre exemple : celui des interrogatoires de police. Dans sa thèse sur ce sujet, Julie Courvoisier [5], inspectrice scientifique, démontre comment les interrogatoires menés avec empathie et respect libèrent la parole et favorisent la collaboration. 

Kevin Gilmartin et John Harris montrent avec le processus de compromission que des petits manquements déontologiques peuvent provoquer des problèmes très concrets et beaucoup plus importants. La policière ou le policier peut à son insu glisser sur la pente de la compromission jusqu'à arriver à détruire sa vie personnelle et professionnelle. L'institution va quant à elle devoir investir du temps et des ressources considérables dans les enquêtes et les procédures. Ils recommandent en conséquence de privilégier la prévention et de ne pas attendre les problèmes graves pour agir.

Pour finir, on peut imaginer, au vu des profils variés qui cohabitent au sein de la police, la dissonance cognitive que peut ressentir le membre de la police, en particulier si elle ou il est stagiaire, lorsqu'elle ou il voit un ou plusieurs collègues agir de manière profondément contraire à ses valeurs personnelles, la formation reçue et/ou les comportements observés dans d'autres services (postes et brigades) et qu'il ne dit rien par loyauté ou peur de représailles.

Le respect de la déontologie peut donc prévenir les conflits et faciliter les relations tant avec la population qu'à l'interne de la police. Il a également des effets positifs concrets sur le travail des policières et policiers. Il peut aussi diminuer les procédures disciplinaires et pénales.
 

Application du code de déontologie : une responsabilisation institutionnelle et personnelle

L'application des règles de déontologie ne peut pas se résumer à cocher des cases "juste" ou "faux". Elle se fait principalement à travers le savoir être et des décisions personnelles souvent prises à chaud. 

Comme le relèvent Kevin Gilmartin et John Harris [6] mais aussi Romain Grand, officier au sein de la police genevoise dans son mémoire de fin d'étude [7]  l'enseignement et la supervision sont plus utiles que les enquêtes et les punitions pour que la déontologie soit assimilée et intégrée. Ce serait donc "plutôt en fournissant l'occasion aux policiers concernés de réfléchir sur leurs pratiques et sur les forces qui les habitent (la vengeance, le désir de punir ou d'agir comme un justicier) qu'il sera possible de développer un sens de l'éthique et de prévenir les dérives." [8]

Romain Grand, dans son travail sur les outils à disposition des officiers de la police genevoise, considère que le code de déontologie n'est pas un outil suffisant. Il propose notamment de "travailler sur des cas concrets de dilemmes éthiques en matière de pratique policière" (Grand, 2020 p. 23). Pour lui la question du bon moment pour suivre une formation en déontologie est un aspect particulièrement important. Il propose qu'elle soit donnée au moment où les policières et les policiers commencent à ressentir victimisation et frustration (Grand, 2020, p. 3).

Pour que la déontologie soit diffusée et assimilée, un ancrage dans la hiérarchie est indispensable. Outre la valorisation par l'institution des compétences éthiques au même titre que techniques pour exercer le métier de policier, le rôle des cadres, en particulier ceux de terrain, est fondamental. Chaque officier doit "se former et former ses subordonnés en matière de déontologie, assumer son rôle de chef, faire preuve de courage managérial, intervenir lors de situation contraire à la déontologie." (Grand, 2020, p. 23). 

Pour renforcer l'implication institutionnelle, on pourrait aussi imaginer la mise en place d'un système de contrôle interne comme proposé par le DCAF dans sa boîte à outils [9] qui viserait à inclure dans l'évaluation des risques l'aspect déontologique. Il ne s'agirait pas d'un contrôle punitif mais de procédures qui permettraient de vérifier qu'une fois les risques identifiés et les mesures de prévention définies, l'institution fasse un suivi.

Partir de l'expérience, l'ancrage hiérarchique, le rôle des cadres de terrain, la valorisation des compétences déontologiques pour l'exercice de la profession sont autant de pistes qui ont pu être discutées au sein de la commission de suivi du code de déontologie de la police genevoise.
 

Implication du MIPP sur les questions de déontologie : intérêt et enjeux

Comme on l'a vu, c'est d'abord le rôle d'observatoire des relations population-police du MIPP qui va être utile en matière de déontologie car il permet de l'aborder à travers des cas pratiques. 

Un autre apport du MIPP en matière de déontologie est son regard extérieur et neutre sur les pratiques policières. 

La médiation en tant qu'outil de gestion des conflits est en soi également un moyen pour promouvoir la déontologie. En offrant à chacun la possibilité de se rendre compte de la réalité de l'autre et des conséquences de ses actes, c'est une démarche qui se veut responsabilisante et pédagogique. Même si l'expérience et les retours des questionnaires de satisfaction [10] montrent que les perceptions changent peu après une rencontre de médiation, le MIPP a le mérite de proposer un espace pour réduire le fossé entre la population et la police. Il peut ainsi contribuer à réduire les risques de victimisation des membres de la police.

Même si l'implication du MIPP dans la promotion de la déontologie au sein de la police est l'opportunité de tirer profit de son expérience et d'agir au niveau de la prévention, il convient de rester vigilant afin de préserver la neutralité et la confidentialité qui guident sa mission première de médiation et lui confèrent la confiance des différents partenaires. 

Une prochaine étape sera de clarifier et rendre lisible la manière dont le MIPP exerce sa compétence de recommandation que lui confère la loi. 
 


[1] Alors que le Ministère public (MP) et l'Inspection générale des services (IGS) traitent l'aspect pénal, la Commandante et le Département en charge de la sécurité sont compétents pour les questions disciplinaires.
[2] Directive de police - OS DERS.01 - Code de déontologie de la police genevoise 
[3]  
DE MAILLARD J., ROCHE S., JARDIN A., NOBLE J., ZAGRODZKI M., Déontologie et relations police-population : les attitudes des gendarmes et des policiers, Éclairages, février 2024, p. 8.
[4] GILMARTIN K., HARRIS J., Déontologie policière : Le continuum de la compromission, The Police Chief Magazine, Janvier 1998, p. 4.
[5] 
COURVOISIER J., L'interrogatoire de police : État des lieux des pratiques dans deux corps de police suisses, UNIL, 2023. Disponible sur serval.unil.ch
[6] GILMARTIN K., HARRIS J., Déontologie policière : Le continuum de la compromission, The Police Chief Magazine, Janvier 1998, p. 8.
[7] GRAND R., Au-delà du code de déontologie de la police genevoise, de quels outils disposent les officiers pour réduire les risques de compromission, CAS CEP travail de fin d'étude, ISP-ILCE, 2020, p. 32.
[8] ST-AMOUR S., BLANCHETTE M., Éthique et usage de la force – légitimité dérangeante, 2010 cité dans : GRAND R., Au-delà du code de déontologie de la police genevoise, de quels outils disposent les officiers pour réduire les risques de compromission, CAS CEP travail de fin d'étude, ISP-ILCE, 2020, p. 32.

[9] DCAF, Boite à outils : intégrité de la police, 2018, chapitre 5, pp. 155-174.
[10] MIPP, Rapport d'activité 2024, p.25

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Date de publication
24 avril 2025