Pourquoi choisir le vélo plutôt que le bus? La voiture plutôt que le train? Le prix et le temps de déplacement ont longtemps constitué des critères déterminants dans les logiques de choix du mode de transport. Mais en vingt-cinq ans, les mœurs ont changé. C’est la qualité du temps de déplacement qui compte désormais pour déterminer quel transport choisir, relève une enquête de l’EPFL menée dans le canton de Genève et les secteurs français et vaudois de l’agglomération transfrontalière. Ce travail offre un découpage très fin des pratiques de mobilité de la population active en fonction des zones de résidence, de l’âge et du niveau de formation, entre autres.
Les chercheuses et chercheurs du Laboratoire de sociologie urbaine (LASUR), piloté par le professeur Vincent Kaufmann, ont commandé une enquête téléphonique auprès d’un échantillon représentatif de la population active des différents territoires du Grand Genève. Cette agglomération, qui compte un million d’habitant-e-s, s’étend sur 209 communes, incluant une partie du canton de Vaud et de la ceinture française dans l’Ain et la Haute-Savoie. Sur dix habitant-e-s, cinq résident dans le canton de Genève, quatre en France et un dans le district de Nyon.
Erosion progressive de l'image de la voiture
L’enquête a porté sur près de 2100 personnes, avec pour critère de participation d’habiter à moins de 500 mètres d’un arrêt de transport public ou 800 mètres d’une gare. Des enquêtes similaires avaient été menées en 1994 et 2011. Le premier élément qui ressort de l'étude est que l’image de la voiture continue de se dégrader. En 2018, 33% des sondé-e-s lui attribuent des adjectifs négatifs (polluante, chère…) alors qu’ils n’étaient que 12% en 1994. L’image des transports publics s’améliore, mais elle reste assez mitigée: en 2018, 50% des sondé-e-s citent des adjectifs positifs (39% en 1994) et 38% des qualificatifs négatifs (46% en 1994). La relative lenteur des transports publics en général semble être l'élément le plus dissuasif. L'arrivée du Léman Express devrait permettre de considérablement améliorer cette image. En effet, la vitesse commerciale du Léman Express sera d'environ 50 km/h. Le vélo et la marche reçoivent surtout des éloges, bien que le premier reste qualifié de dangereux, surtout par les citadin-e-s.
Fort potentiel pour le vélo
Des résultats 2018, les chercheuses et chercheurs tirent plusieurs enseignements. Le premier est que le temps où l’automobiliste empruntait exclusivement ce moyen de transport est révolu. Toute la population active est devenue multimodale. Une majorité des sondé-e-s du Grand Genève présente aujourd’hui des dispositions favorables à l’utilisation d’autres moyens de transport que la voiture ou les deux-roues motorisés. Il en ressort que la majorité des habitant-e-s de la couronne française du Grand Genève serait prête à utiliser d'autres modes que la voiture individuelle si une offre alternative concurrentielle était mise en place ou connue. Ce constat est de bon augure pour la mise en service intégrale du Léman Express le 15 décembre prochain, accompagnée par une réorganisation des lignes de transports collectifs, qui rabattront les voyageurs vers les gares du réseau ferroviaire.
Cet état se confirme dans une baisse de l’utilisation de la voiture au profit des transports publics et de la marche. L'utilisation du vélo, quant à elle, reste stable sur les cinq dernières années. Il existe donc un potentiel certain de report modal de l’automobile vers le vélo et le vélo électrique, estiment les chercheuses et chercheurs de l'EPFL. Ils préconisent par exemple des itinéraires de vélo continus et sécurisés en ville. L'enquête a en effet identifié un groupe de population (16% de l'échantillon) qui, pour des raisons de liberté dans la gestion de l'agenda individuel, basculerait plus facilement sur les vélos et vélos électriques que sur les transports collectifs.
Autre enseignement: un des critères déterminants du choix modal est désormais la qualité du temps de déplacement, sans doute dû à la démocratisation des objets connectés, qui permettent d'optimiser ce moment. Le confort, l’efficacité et la volonté de limiter les émissions de CO2 pèsent aussi dans la balance. Cela implique de porter une attention particulière aux pôles d’échange, de soigner le confort d’utilisation des transports publics ou d’installer une tarification plus attractive pour les voyageuses et voyageurs occasionnels, considère le LASUR.
Enfin, la prise en compte, pour la première fois, de la ceinture française du canton de Genève confirme que les résident-e-s françai-e-s peuvent difficilement se passer de voiture, faute d’autres options. Parallèlement, les conditions de stationnement à Genève et dans les communes de la première couronne favorisent l’utilisation de l’automobile. Les chercheuses et chercheurs préconisent à ce sujet différentes mesures telles qu’un renforcement du contrôle du stationnement ou une politique de stationnement plus restrictive sur le domaine privé dans les secteurs bien desservis par les transports publics. En effet, à titre d'exemple, en ville de Genève, plus de 50% de la population active se rendant sur le lieu de travail en voiture disposent d'un parking. Ce taux approche les 70% si l'on ajoute l'usage de la voie publique par ces automobilistes.
Cette étude réalisée par le Laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL a été financée par les partenaires suivants: Agglomération du Grand Genève, Etat de Genève (département des infrastructures et département présidentiel), Région de Nyon, Ville de Nyon, Unireso, Lémanis et l’Union des villes genevoises (Genève, Vernier, Onex, Meyrin, Lancy et Carouge).