
Le professeur Mulone a pu profiter d'un séjour en Suisse en 2023 pour mener une étude exploratoire dont l'objectif était de comparer le modèle québécois, dans lequel la participation des membres de la police impliqués est obligatoire, avec celui de l'organe de médiation genevois, où la participation est volontaire, afin de vérifier l'impact de la libre adhésion sur l'expérience des membres de la police. Il s'agissait également de comparer les effets de la médiation et de la conciliation par rapport aux procédures pénales et disciplinaires. Pour ce faire, le MIPP a contacté tous les membres de la police cantonale et des polices municipales ayant participé à un processus de médiation au MIPP, suite à cela les personnes intéressées ont directement répondu au chercheur.
Au fil des entrevues, il est apparu que la grande différence de contexte nécessiterait des moyens plus importants pour permettre une comparaison adéquate. Le chercheur a donc décidé de s'arrêter à 8 entretiens dont il a pu tirer plusieurs observations qu'il a restituées dans une note adressée au MIPP.
Les membres de la police sont globalement satisfaits du travail du MIPP
La totalité des membres de la police ont dit être satisfaits du professionnalisme des médiatrices et médiateur du MIPP notamment parce qu'ils estiment avoir été bien informés en amont et surtout parce qu'ils considèrent que le personnel du MIPP a agi avec impartialité.
Si tous s'accordent sur la pertinence du recours à la médiation en tant que principe de gestion des conflits entre la population et la police leur perception du processus tel qu'ils l'ont expérimenté varie.
La satisfaction personnelle concernant leur expérience de la médiation varie
"Sur cette question, les avis sont partagés, allant de quelqu'un disant qu'il recommanderait la médiation à tout le monde, à la position inverse" [1]. Pour éclairer ces différences le professeur Mulone propose plusieurs hypothèses. Tout d'abord, il relève que le plus haut degré de satisfaction se retrouve chez le seul participant qui a fait une médiation déléguée par le Ministère public dans le cadre d'une plainte à son encontre. La fin de la procédure est un élément tangible qui influence la satisfaction.
Pour les autres participants, venus dans le cadre d'une doléance informelle, la motivation est de pouvoir expliquer son intervention. Il s'agit de réparer la vérité et de faire comprendre à la citoyenne ou au citoyen pourquoi sa doléance était infondée. "Pour les participants, une telle démarche de rectification des faits est essentielle, parce qu'ils considèrent qu'il est important que la population ait une image positive de la police" [2]. Le fait que la personne qui s'est plainte ne change pas son point de vue malgré les explications "semble générer un volume significatif de frustration chez le policier (…)"[3] et va influencer sa satisfaction quant au processus de médiation. Si cela peut amener certains membres de la police interviewés à dire que la médiation ne sert à rien et qu'ils ne la recommanderaient pas, d'autres retenteraient l'expérience en fonction de la situation.
Dans sa note, Massimiliano Mulone souligne que "si les policiers se plaignent de l'absence de changements chez les citoyens, ils font pourtant preuve du même immobilisme".
Les membres de la police ne se remettent pas ou peu en question
En effet, la totalité des participants à l'étude considèrent que les doléances sont infondées et qu'ils n'ont rien à se reprocher. Tous ont affirmé que la médiation n'avait pas changé leur perception de leur intervention. Ils ont de plus précisé que s'ils avaient eu quelque chose à se reprocher ils ne seraient pas venus en médiation car ils craignaient que reconnaitre leurs torts pourrait leur porter préjudice si d'éventuelles poursuites étaient entreprises.
Si seuls les membres de la police qui se considèrent innocents acceptent d'aller en médiation au MIPP cela montre les limites de son champ d'intervention. Le professeur Mulone envisage néanmoins que les personnes qui ont accepté de répondre aux questions ne soient pas représentatives de l'ensemble de celles qui sont allées en médiation.
Des résultats similaires au Québec
Au Québec la conciliation est habituellement la dernière étape d'une procédure en déontologie initiée suite à la plainte d'une citoyenne ou d'un citoyen. Son aboutissement permet de clore la procédure sans sanction. Elle apporte donc une satisfaction semblable à celle du participant genevois impliqué dans une procédure pénale.
À Genève comme au Québec les policières et les policiers interrogés se perçoivent rarement comme fautifs ce qui a pour conséquence que toute procédure est vécue comme injuste.
Massimiliano Mulone constate que les discours des policiers genevois et québécois concernant le système et les différents acteurs qui le constituent ainsi que les sources d'insatisfactions sont identiques. Plus que le caractère contraint versus libre de la participation aux médiations ce serait plutôt le contexte dans lequel s'inscrit le processus, à savoir plaintes formelles ou informelles qui va avoir un impact sur l'expérience des policières et policiers.
Des observations plus nuancées au MIPP
Si l'on compare ces observations aux résultats des sondages de satisfaction on voit qu'il y a des similitudes quant au fait que même les personnes qui ne sont pas satisfaites du résultat de la médiation sont satisfaites de l'intervention du MIPP.
Concernant le changement de perception, les résultats du sondage diffèrent légèrement puisque en 2024 on peut observer que même si 55,6% des personnes qui ne sont pas à l'origine de la demande, majoritairement des membres de la police, ont répondu ne pas avoir changé de perception, 27,8% ne savent pas et 16,7% ont affirmé avoir changé de perception. On note d'ailleurs que depuis 2022 le pourcentage de personnes qui n'a pas changé de perception a diminué de presque 45%.
Le droit à l'erreur pour améliorer les pratiques
Alors que le MIPP considère être aussi un lieu pour traiter les erreurs non-volontaires afin qu'elles puissent être prises en compte dans l'amélioration des pratiques, l'étude exploratoire montre que le champ d'intervention des médiations se limite pour les membres de la police interrogés à rectifier les incompréhensions de la population. De plus, la peur de reconnaitre une erreur exprimée en médiation montre une certaine méfiance envers la confidentialité de la médiation.
Même si les sondages de satisfaction et les observations du MIPP nuancent ces résultats, le fait qu'aucun des membres de la police genevoise et québécoise interrogés n'expriment ou considèrent avoir agi de manière incorrecte amène à faire l'hypothèse qu'il s'agit d'une posture générale liée à la culture professionnelle ou institutionnelle.
On peut se demander dès lors si le développement au sein des institutions policières d'une "culture juste" comme dans le domaine de l'aviation [4] pourrait, entre autre, influencer la manière dont les membres de la police expérimentent la médiation et toutes autres procédures conséquentes à une plainte formelle ou informelle à leur encontre.
[1] MULONE M., Note de recherche relative à l'expérience policière en médiation à Genève, Janvier 2025.
[2] ibid.
[3] ibid.
[4] La "culture juste" se fonde sur le règlement 376/2914 de l'Union européenne (UE). En résumé, elle défend le principe de tolérance pour les erreurs humaines non-volontaires et bénignes afin qu'elles puissent être prises en compte dans l'amélioration des systèmes de sécurité.